Printemps des peuples

Tiens, c’était le 21 avril, l’autre jour. Vous savez, à la veille du premier tour. Cette date est fort célèbre dans l’Histoire de la République… Qu’est-ce que j’entends ? Celui de 2002 ? Non, j’ai dit dans l’Histoire, pas dans l’actualité ! Vraiment, cette campagne électorale rend les gens monomaniaques. Non, moi je pensais à l’Histoire de la République Romaine, ce qui ne date pas d’hier ni même de cinq ans.

Chaque 21 avril, aprilis, le mois de la déesse grecque Aphrodite qui marque l’ouverture de l’année romaine (de Aperio, ire, rui, pertum : verbe transitif signifiant ouvrir, découvrir, faire connaître, etc.), on célébrait dans la Ville la fête de Palès, la déesse des bergers et des agriculteurs. Cela s’appelait Palilia, en français les Palilies, et c’était une franche rigolade pour tout le monde.

Quand je dis la Ville, je veux bien sûr parler de la SEULE ville qui vaille à l’époque, celle qu’on appelait l’Urbs, celle des inventeurs de l’urbanisme, du service public, des HLM, des sapeurs pompiers, des fascistes, des thermes, de la plomberie, ou du moins de leurs applications au bien public… LA ville avec un grand Vi, celle qui a pénétré loin dans les terres vierges et barbares… Rome.

Mais vous le saviez, bien sûr.

Les Palilies, c’était le moment de purifier tout un tas de choses. On purifiait les troupeaux, les étables et les bergers eux-mêmes avec les substances qu’on tenait pour bonnes à ce genre de chose à l’époque et que l’on trouverait aujourd’hui peu ragoûtantes pour se laver… Bon, de l’eau, du pin, du romarin, du laurier, passe encore, même si ça fait un peu bouquet garni. Mais le vinaigre et le soufre, bof…

Pire, on a même utilisé les cendres des veaux sacrifiés un peu plus tôt, le 15 avril, pour les Fordicidia du dieu Faunus. A la déesse Palès, moins sanglante, on offrait du grain, du lait, une boisson genre grog (du vin cuit…). Et après on faisait la fête. On bouffait comme quatre, et, amusante cérémonie, on faisait de grands feux et on dansait autour pour aider à la fertilité des brebis.

C’est le genre de festival de début du printemps comme on n’en fait plus que symboliquement, où la sève monte et où l’on chasse les loups et autres bêbêtes sauvages, où l’on marque les limites de nos champs, de nos prés, et où on en profitait pour tester celles de la société. Mieux encore, ce jour coïncidait avec une fête civico-religieuse de Rome : l’anniversaire de sa fondation par Romulus.

C’est pourquoi la tradition voulait qu’on saute par-dessus le feu : Un rite de purification du peuple instauré par Romulus lui-même, qui a des racines encore plus anciennes, et qui a donné aujourd’hui des festivités sympathiques comme les feux de la Saint Jean, le sacre du printemps dont nous parlions quelques semaines plus tôt autour de Pâques, et autres sabbats déguisés…

D’autant que pour les latins, peuple de bergers ralliés à un guerrier élevé par une louve, les métaphores du loup et de l’agneau sont très fortes. C’est Luperus qui est le dieu de la fécondité naturelle, et les lupercales sont un des grands moments de l’années romaine… Homo homini lupus, comme ils disent. Mais on a cessé de faire ce genre de folies, même organisées, de nos jours.

A moins que… Ces derniers temps, à cause d'un 21 avril, on a allumé pas mal de feux. On a purifié l'air par la fumée et l'agitation. Il y a eu de grandes fêtes républicaines pour conjurer le mauvais sort et tenter de ramener à la vie certaines forces. On a tenté, depuis quelques années, le 21 avril le plus long de l'Histoire, de faire revenir la jeunesse perdue de notre pays avec le printemps.

Et le plus drôle c’est que, comme dans l’ancienne Rome, elle est revenue parce qu’on a crié au loup.

Aujourd’hui, dans quelques heures à peine, nous choisissons. Qui dominera dans notre République ? Palès, gentille mais un peu bêbête, déesse des bergers et des moutons, partisane d’un certain ordre placide et limité de la société… Ou bien Lupérus, le roi des loups, prédateur dans l’âme à l’énergie indéniable, bestiale, parfois nécessaire mais dangereuse ?

Surtout, qui est qui ? Qui est le loup déguisé en agneau, qui est le mouton revêtu de la peau du loup ? Le choix est difficile, et crucial, mais nous sommes après tout dans un de ces temps de la marge, comme disent les ethnologues. Une période charnière, une ère de renouveau, le fraîchin, le carnaval, appelez ça comme vous voulez. C’est ce que chacun dit, pense, espère, redoute, attend…

Quel que soit le choix que nous ferons, les choses changeront… comme chaque année.

Comments

[Mel]

Le 21 avril est pour moi encore plus symbolique... Un 21 avril d'il y a 29 ans, à 16h29, une petite fille naissait : moi.

Je me serais assez joyeusement accordée de cette filiation romaine, mais ce 21 avril républicain, je ne l'aime pas. Il m'a gâché ma fête, il y a quelques 5 ans. J'aime mieux qu'on vote le 22, cela me laisse le loisir de rigoler, au moins.