D'immondes sur canapé

Il est minuit, bonnes gens, dormez tranquilles... C'est le nouveau concept en vogue, semble-t-il. Je ne parle pas d'une conspiration pour amadouer l'électeur, donner un sédatif aux masses sous la forme de distractions (consumérisme, religion, show business, fausses polémiques...), instaurant ce que d'aucuns appellent la "tyrannie douce" depuis les Lumières. Tout ça se fait au grand jour depuis longtemps.

Non, je parle vraiment de mode et de "concept". Déjà, le terme concept est manipulé de nos jours à tort et à travers. Parce qu'il fait plus sérieux que "mode" ou "truc" ou "vague", le voilà bombardé (mauvais) sujet en nom composé à tout ce qui est tendance. Concept-store, concept-bar, concept-lounge, concept ceci ou cela... Un concept, c'est maintenant un mot tendance pour qualifier une tendance.

C'est un agréable résumé passe-partout pour faire croire qu'il y a quelque chose d'autre en dessous, lorsqu'on parle d'une activité ou d'une pseudo-culture. Exemple : le concept du "lounge" fait sérieux, mais en fait ce sont juste des bars avec des canapés et de la musique douce et planante qui va avec. C'est tendance, mais ça existe depuis belle lurette... En moins généralisé, moins standardisé, moins commercialisé !

C'est à vous dégoûter d'employer jusqu'au verbe concevoir. Mais fi des prolégomènes. Je voulais vous entretenir des nouveaux "concepts" de cette fin d'année. C'est la mode du "restez chez-vous". Il y avait déjà le télétravail (qui n'avait pas fantastiquement marché tant les distractions sont nombreuses, certaines professions le pratiquant déjà par nécessité avant même l'invention d'Internet).

Maintenant, le fooding a gagné ses lettres de noblesses : Il existe depuis belle lurette, lui aussi. Le mot n'est là que depuis un ou deux ans, et représente cette tendance de redécouverte de la nourriture, du bien manger. Vous savez, sortir au restaurant, les tables d'hôtes, réunir des gens chez-soi pour de la bonne bouffe et discuter autour, comme la "nouvelle" émission d'Ardisson mais en intelligent et agréable.

Des générations de gourmets, dont moi, sont de véritables monsieur Jourdain qui faisaient du fooding sans le savoir ! Le fooding, c'est l'habillage fashion de tous ceux qui aiment bien manger, des combattants de la malebouffe aux gens qui se recommandent des adresses de bons restos exclusifs, en passant par ceux qui... cuisinent bien, tout simplement. Même merde, nouveau nom. Classique, de nos jours.

Donc plutôt que de sortir pour faire du sport, rencontrer des gens, s'amuser, aller au cinéma, faire la fête, le fooding prône les joies calmes et intimistes de la bouffe entre amis, même en restant chez-soi. Mais ce n'est pas tout : Il y a aussi le nouveau concept que lance Orange (et je parie que ça va faire un flop certain, mais bon, ça n'a jamais rien empêché, que je sache), j'ai nommé le Rentring.

Vous avez tous vu les publicités ici et là dans le métro, et peut-être même le site web et ses vidéos hautement débilitantes. On voit sur le site des métrosexuels tendances, jeunes bourgeois suréquipés d'électronique, qui sortent avec leurs amis, mais rentrent tôt (d'où le nom de "rentring" et même de "plan rentring"), chacun chez-soi... Et par la suite, les mêmes (avec d'autres) se retrouvent sur Internet !

Ils y regardent des films en même temps grâce à leur haut débit, ils ont des wabcams, des micros, y téléphonent, bref, c'est de la téléprésence à haut niveau pour que chacun reste en fait sur son propre canapé. Tout est donc à leur portée chez eux, excepté la véritable présence de leurs amis. Quel est l'intérêt ? Pourquoi ne pas inviter les gens et dépenser moins de sous, ou se retrouver dehors ?

C'est un mode de vie attrayant pour les célibataires casaniers et solitaires qui ne cherchent personne (les gens en couple ont quand même mieux à faire...), ou qui cherchent quelqu'un, mais uniquement sur Internet. C'est bien pour ceux qui comme moi détestent les boites de nuit et ont horreur de sortir le soir dans des bars enfumés, pour les asociaux, les informaticiens, les bobos (encore un concept fourre-tout...)

En fait je faisais du rentring avant l'heure en refusant des invitations aux afters du Queen ou du Carré pour aller me planter devant mon PC ! Nil novi sub sole. Je sais par expérience que ce mode de vie sédentaire a raison de votre ligne encore plus sûrement que la vie de patachon de celui qui vit de boite en boite, de bar en bar. Je suis le mauvais apôtre, mais c'est vrai que c'est malsain et peu convivial.

Mais, bonnes gens, tout n'est pas perdu ! Dés à présent vous pouvez même faire du sport chez-vous, et pas seulement en faisant des abdos et des pompes abrutissantes (ou en baisant, ce qui est difficile sans sortir draguer...), mais bel et bien du sport d'équipe ou de compétition. Il suffit d'avoir une Wii (sortie le 8), qui a Internet et qui vous fait gesticuler devant votre téléviseur, seul ou à plusieurs !

Voilà donc la nouvelle mode : Tout à domicile. Chacun achète ses cadeaux de Noël sur Internet, et les expédie aux adresses des copains, envoie des cartes de voeux numériques, échange des tas de fichiers, mange, bosse, étudie, fait du sport, drague, blogue, écrit, dessine, compose, regarde la télé, s'informe, fait ses courses, va au cinéma... vit sans bouger de son canapé. Avec des pauses pipi et café.

Et soigner ainsi son teint blafard est maintenant institutionnalisé, avec un nom prestigieux et tendance.

Moi, comme nom, j'aurais plutôt pensé à "flemme d'enfant gâté", mais je suis mauvais apôtre, là encore.
Je vais m'inscrire à un club de gym, trouver un boulot hors de chez-moi et recommencer à sortir, moi, tiens...