La file d'odieux couleur Mentat à l'eau !
Je suis intelligent, c’est officiel. Si, si, je vous jure. On ne dirait pas, comme ça, mais c’est le cas.
Ah, mais j’en entends dans le fond qui se demandent tout haut « Comment peut-on proclamer officiellement l’intelligence de quelqu’un ? »… C’est vrai, c’est difficile : qui juge ? Comment juge-t-on de l’intelligence, un critère parfaitement abstrait aux définitions polymorphes, évolutives, toutes plus traitreuses les unes que les autres, avec tant d’aspects différents, innés et acquis ?
Je pense que c’est impossible, voire inutile, voire futile.
L’essentiel c’est de savoir repérer les cons sans avoir à leur faire cocher des cases, et ça, c’est à la portée de pas mal de gens.
Cependant, qui suis-je pour argumenter face aux gens de chez Mensa, ce pseudo-Rotary Club de ceux qui se croient les plus intelligents parce qu’ils ont correctement rempli les questions d’un psycho-test ? Evidemment, je ne vais pas adhérer à cette oligarchie de pédants… Mais, par curiosité, j’avais passé leur test gratuit il y a longtemps, et ils auraient alors été heureux de m’accueillir, paraît-il.
Pour m’amuser, j’ai passé quelques tests de QI au cours de ma vie. Vers 10 ou 12 ans il paraît que j’avais 120, mais je n’en crois rien : j’étais sûr que certaines questions ne pouvaient en aucun cas mesurer l’intelligence de qui que ce soit, avantageant ceux qui ont une formation mathématique, ce qui est complètement différent. Plus récemment (enfin, tout de même il y a quelques années), j’avais fait 145 et des brouettes à un autre test.
Je vous rassure tout de suite, je suis aujourd’hui incapable de résoudre les équations que je faisais allègrement au lycée… Comme beaucoup de gens. Je dois me creuser la tête pour trouver la suite logique de telle ou telle série de chiffres, un classique de ce genre de tests. Pourtant, j’ai une maîtrise obtenue à la Sorbonne, je lis vite, et j’ai l’esprit relativement vif… Du moins me l’a-t-on confirmé souvent.
Du reste, j’ai pu constater que, au cours de ma scolarité comme dans ma vie professionnelle, d’une manière générale et récurrente, l’intelligence est un avantage, mais n’est pas récompensée en elle-même… De même pour le talent (voyez la Star Academy…). La logique, bien qu’utile, gouverne peu les rapports humains. La seule chose qui est récompensée, c’est le travail, et l’insertion au mieux dans la machinerie complexe de la société.
Mais passons. J’aimerais signaler aussi que je suis une VRAIE BILLE en ce qui concerne les exercices du genre le programme d’entraînement cérébral machintruc proposé sur consoles. Je ne m’en inquiète pas outre-mesure, parce que ça me semble particulièrement mal conçu : croire que plus son cerveau est vieux, plus il est lent et plus il est con, c’est une généralisation absurde de la maladie d’Alzheimer.
Surtout quand on voit l’âge moyen des prix Nobel et de l’élite scientifique mondiale.
C’est à peu près le même problème que celui soulevé par la mise à la retraite, en France, de vieux chercheurs.
Je digresse, mais il faut tout de même dire que ça n’est pas très malin de refuser les chercheurs de plus de soixante ou soixante-cinq ans, étant donné qu’ils sont les seuls à posséder l’expérience nécessaire, et des capacités de raisonnement non seulement intactes mais souvent accrues : ceux qui sont séniles sont naturellement évacués d’un système qui garde et valorise les surdoués et ceux qui planifient à très long terme.
Et puis, l’autre jour, j’ai repassé le test de chez Mensa… Enfin, une version largement édulcorée sur leur site web, que j’ai torchée en deux temps trois mouvements vers une heure et demie du matin parce que je n’avais rien d’autre à foutre et que je n’arrivais pas à dormir. J’ai fait un excellent score, et j’ai constaté que les questions étaient vraiment plus simples que la dernière fois. Et moins nombreuses, aussi.
J’en déduis deux choses… D’abord, que Mensa est obligé de réduire le niveau pour attirer du monde, quitte à faire deux sessions, ensuite que le reste du monde devient de plus en plus con. Ou tout au moins que la paresse intellectuelle atteint des sommets encore jamais vus, et s’empare de gens qui pourraient réfléchir correctement mais trouvent que l’effort n’en vaut pas la peine dans notre société du prêt-à-penser et du presse-bouton.
C’est aussi un problème : Si la mentalité et la culture geek sont de plus en plus ouvertes, de plus en plus représentées (parce que bien plus rentables, il faut le dire… voyez les nombreux revenus générés par les livres et les films fantastiques de nos jours !), l’intelligence elle-même n’est pas valorisée. On assiste à la création d’une classe de pseudo-geeks, skybloggers et kikoolols, qui possèdent la culture de fans baveux sans le QI élevé.
Le binoclard est toujours aussi peu reconnu, quand bien même Bill Gates est l’homme le plus riche du monde, et la vie de celui qui le tabassait à l’école a culminé, en termes d’accomplissement personnel, vers 17 ans et demi… Les différents se font toujours taper dessus à l’école, et pire : nous avons déjà vu comment les médias et la publicité nivellent par le bas les esprits des citoyens. Et ça, les tests passent complètement à côté.
Bref, je suis intelligent, et je n’ai pas besoin de ça pour me le dire.
Mieux vaut penser en dehors des sentiers battus, l’esprit ne rentrant de toutes façons pas dans des petites cases.
Mensa, il faut le préciser, est un club pour ceux qui font partie des 2% de la population qui ont la plus grande intelligence, selon leurs propres tests reconnus. C’est une association qui, si elle est complètement entrée dans les mœurs dans les pays anglo-saxons, peine en France (à peine 1000 membres actifs). Pas parce que les français sont plus cons, mais parce que ça n’apporte rien. On comprend vite leur turn-over important.
Sans fausse modestie de ma part, ça manque d’humilité, ces gens qui se disent encombrés de surefficience mentale… Comme si c’était possible ! Je trouve que (comme ce billet, dans une certaine mesure, mais c’est involontaire…) ça fait genre « Oh, regardez-moi, je suis si intelligent, je suis trop bien pour les gens normaux, je dois rejoindre l’élite de 2% de la population ! »… Et il y a d’autres associations encore plus sélectives.
Je n’en ai noté aucune qui s’applique à améliorer activement le sort de l’humanité. Bien sûr, de nombreux membres mènent de tels projets dans leur coin, mais ces associations se veulent toutes strictement neutres sur les questions sociétales ou ayant un quelconque impact, à quelque niveau que ce soit. Chacun est libre de débattre ou de se regrouper selon ses centres d’intérêts, mais l’association Mensa (et d’autres) ne s’engage pas.
S’ils étaient si fortiches, ils sauraient, à l’instar des pubs de la SNCF, que le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous. Ont-ils peur de répandre les fruits surabondants de leur intellect ? Ah, mais ce n’est pas la raison d’être de Mensa, disent-ils : Après avoir constaté que les surdoués des milieux défavorisés avaient des « difficultés d’adaptation », ils se sont dits qu’il fallait créer une association pour faciliter leurs rencontres.
C’est bien, mais quelle attitude fermée ! On n’ose imaginer les ressources que pourrait mettre en œuvre une telle organisation si elle était coordonnée au lieu d’être masturbatoire… Car c’est de la masturbation, même s’ils nient être en quête de reconnaissance : c’est quelque chose qui ne fait plaisir qu’à eux, et qui ne sert pas à grand-chose au reste du monde. Un vrai génie n’a pas besoin de ça, trouve l’émulation et arrive, d’où qu’il vienne.
Je n’ai rien contre récompenser l’excellence, mais ces espèces de Mentats ne sont que des superhéros inutiles de plus…
Ils se jugent, à raison, supérieurs aux autres… Et, forts de ce savoir, traversant la crise sans bruit, se contentent d’exister.
Cela montre bien la vision de l’intelligence que ces gens prônent. On lit, entre les lignes, que pauvreté et connerie vont bien ensemble, et qu’il faut donc « sauver » ces 2% de surdoués des milieux dont ils sont issus… Quel mépris ! Certes, l’intelligence dépend beaucoup de l’éducation reçue… Sauf que ce n’est pas à l’école qu’on reçoit la plus grande part de notre éducation, ni, le plus souvent, qu’on apprend à penser.
Les tests de Mensa mesurent une forme de culture, une compréhension aristotélicienne au détriment des autres, un peu de perception visuelle, de rapidité synaptique ou de puissance de calcul en chiffres arabes… Mais l’intelligence ? Point. Si l’on raisonne comme eux, un ordinateur est intelligent. Alors que, tout le monde le sait, il n’y a pas plus bête : impossible à l’heure actuelle de créer une Intelligence Artificielle.
Non, toutes ces associations pratiquent un élitisme déguisé de façon fort malhabile pour des individus avec de telles prétentions : ils sélectionnent soi-disant dans toutes les classes de population… mais je n’ai pas vu Mensa tester gratuitement les enfants dans les écoles pauvres, ou les adultes dans les ghettos, ou quelque initiative que ce soit avec pignon sur rue. C’est très franc-maçon, dans le mauvais sens du terme.
Non, Mensa propose des services pour les voyageurs qui permettent de rencontrer directement d’autres Mensans (oui, c’est un nom débile, je sais… Ce n’est pas ma faute, ce sont ces « génies » qui l’ont trouvé) en arrivant dans un pays… Il y a aussi des groupes par centres d’intérêts, dont, entre autres l’érotisme ou l’amour. Ben oui, cette dimension est discrète, pas centrale, mais bien présente : Eugénisme et reproduction des élites. Youpi.
Finalement, est-ce vraiment une bonne idée que ces gens soient coordonnés ? Après tout, entre la folie et le génie, il n’y a que peu de différences… On a connu de très grands savants et des gens d’une intelligence brillante responsables des pires horreurs, surtout au XXe siècle. Science sans conscience n’est que ruine de l’âme, et tout ça… Mais on a aussi connu des gens bien parmi les surdoués, comme des gens normaux, à toutes les époques.
Je vais vous dire, l’intelligence n’est pas la sagesse.
Un génie n’a rien à faire dans une association qui se dit pleine de gens de l'élite, mais qui n’est pas capable d’adresser de front la question de sa propre place dans la société occidentale, surtout lorsque ladite société a de toute évidence des problèmes urgents.