Fromage à trois...
En l’honneur de la nouvelle année, nous allons parler sexe… Attention, hein, on ne va pas raconter des histoires érotiques ! Non, nous allons être un peu didactique. Et, encore une fois, ça ne signifie pas non plus qu’on va jouer les Doc et Difool (oui, je sais, seuls les plus vieux que moi s’en souviennent encore, de ces deux couillons…). Les forums pour ados boutonneux, c’est pas ici.
Les questions style « J’ai envoyé un SMS à un garçon et j’ai 10 minutes de retard sur mes règles, suis-je enceinte ? » et « J’ai 12 ans et j’ai tenu la main de mon meilleur ami, suis-je homo ? » on va sagement éviter. Non mais c’est vrai, quoi, je comprends les inquiétudes des prépubères crédules en pleine société du porno, mais on voit ça à longueur de temps sur Internet, au bout d’un moment ça saoule…
Mais glissons. Aujourd’hui, on va parler bisexualité.
J’ai souvent été confronté à cette notion, ce blocage culturel… Pour quelqu’un qui se dit hétérosexuel, une attirance même passagère pour les mecs signifie obligatoirement qu’on est pédé. Enfin, homosexuel, mais c’est plus long à écrire, et ça décrit beaucoup moins bien l’idée que je souhaite faire passer : pas seulement une certaine sexualité, mais aussi une forme d’insulte, de diminution de la virilité par rapport au mâle hétéro.
Le fait est que, même si un mec est toujours attiré par les filles, s’il ne cache pas qu’il est attiré par les mecs aussi, il sera considéré comme gay par la plupart des hétéros. Le plus drôle, c’est que, pour un homosexuel pratiquant et sorti du placard, la moindre attirance passagère ou prolongée pour les filles AUSSI est une indication certaine d’hétérosexualité…
Un gay qui ressent parfois une attirance pour les filles peut avoir intérêt à le cacher dans le milieu de ses amis homos, et gare à lui s’il se met à la colle avec une fille. Cela peut être ressenti comme une trahison, dans une communauté telle que le milieu gay. J’en connais qui disent alors que « ça n’était pas un vrai gay »… Le mec en question est aussitôt catalogué hétéro. Et s’il se remet avec un mec, on « excusera » sa passade hétérosexuelle !
Mais il ne viendrait à l’idée de personne d’envisager cela sous l’angle de la bisexualité.
J’exagère… Il y a tout de même des gens tolérants. Mais tout de même, je constate que de très nombreux gays se disent homos alors même qu’ils ont déjà éprouvé des sentiments, voir une attirance physique, pour des filles… Et de nombreux hétérosexuels se disent « pas des pédés » alors que, secrètement, ils ont été attirés par des mecs (dans la rubrique « c’est de l’amitié virile », et tout ça…)
La bisexualité est un genre de tabou, un truc qui existe peu… un état qui, dans l’esprit de ceux qui se sentent d’un côté ou de l’autre de la barrière homo-hétéro, n’est qu’un intermédiaire. Certains disent que c’est l’état de quelqu’un qui doute de lui, ne sait pas où se placer… Et j’en ai entendu de nombreux, gays et hétéros, qui disaient à qui voulait l’entendre que la bisexualité n’existe pas !
On pourrait croire que, dans le milieu gay, il n’y aurait pas ce genre de problème de tolérance… C’est mal connaître le milieu gay, qui peut être l’un des plus intolérants au monde en ce qui concerne les hétéros. De fait, du point de vue historique, le mouvement gay a été fondé par des homosexuels qui ne pouvaient pas vivre leur sexualité autrement qu’avec des gens de même sexe.
Ce sont eux qui ont milité pour une reconnaissance, et qui ont permis à ceux qui n’avaient qu’une sexualité gay occasionnelle de se reconnaître dans ce mouvement, voire de « s’orienter homo » pour des questions de liberté. Donc, culturellement, il y a aujourd’hui homo ou hétéro, mais pas les deux : la bisexualité n’est pas reconnue, ce qui mène à des situations pour le moins étranges.
Par exemple, l’homme marié qui trompe sa femme avec des hommes.
Il est, logiquement, au moins un peu bisexuel… Pourtant, sa femme pense qu’il est hétéro, mais malade ou en plein désarroi. Et les homos pensent qu’il n’est qu’un pédé refoulé. Il ne leur viendrait pas à l’esprit que c’est quelqu’un qui est attiré par les deux sexes et que ce qui le piège, ce qui fait qu’il ne sait pas où il en est sexuellement, c’est justement ce genre de préjugés artificiels !
Ce n’est bien entendu pas si simple, mais comment expliquer autrement que par la bisexualité le fait qu’un mec bande pour des individus des deux sexes, et puisse à la fois sucer un mec et faire des gosses à une femme ? Pourtant, la bisexualité n’est considérée que comme l’apanage des ados qui expérimentent ou des obsédés refoulés, ou des pornographes pervers et partouzeurs blasés par les plaisirs moins épicés…
Bref d’une sexualité mal définie, extrême, perturbée, marginale même chez les gays. Le bisexuel, c’est, dans l’imaginaire collectif, non pas quelqu’un qui assume une préférence sexuelle, mais quelqu’un qui ne choisit pas, n’a pas choisi, refuse le choix, ou essaie l’autre bord par perversion pure, comme on serait sado-maso, comme on s’infligerait une douleur dans un cadre sexuel… Etrange, non ?
Comme si tout devait être binaire et rentrer dans des cases par deux : homme ou femme, homo ou hétéro, actif ou passif...
Les hétérosexuels et les gays ont tous des archétypes, plus ou moins souhaitables et plus ou moins flatteurs, mais en tout cas bel et bien définis et assumés dans notre société… Une place que les gays ont d’ailleurs conquise de haute lutte, et qui ne leur est toujours pas acquise, mais il s’agit au moins d’une reconnaissance. Que reste-t-il aux bisexuels, en tant que modèle culturel ?
L’homme marié perturbé et l’ado sexuellement ambigu, on a vu… Il reste l’acteur porno. Ou alors le métrosexuel androgyne, intellectuel et légèrement drogué. Ou le transsexuel. Pour les femmes, c’est encore moins simple : pour la société hétérosexuelle mâle, la lesbienne n’existe que depuis peu, et c’est un fantasme pour de nombreux beaufs en rut… Une bisexuelle est donc un objet sexuel, seule lesbienne non castratrice.
Autant les homosexuels ont réussi à conquérir (un tout petit peu, c’est pas encore ça…) une image de gay d’aspect normal, pouvant faire d’autres choses que baiser, pas forcément efféminé ou stéréotypé… autant les bisexuels en sont encore au stade ou c’est invisible, improbable, bizarre, et ou ça surprend quand on l’annonce ! Et ça n’est pas près de changer : il n’y a PAS de militantisme bisexuel.
Et pourtant… Qu’en est-il de la réalité, au-delà des catégories et des stéréotypes ?
Les psychiatres se sont maintes fois trompés, mais il y a quelque chose qu’ils disent depuis longtemps et qui se tient : personne n’est vraiment homosexuel ou hétérosexuel à 100%, de même que peu de gens sont vraiment bisexuels avec 50% de chaque orientation. La sexualité n’est d’ailleurs pas qu’une question de genre et/ou de sexe, et il faut plus que simplement homo ou hétéro pour la définir.
Quelle est la part de l’inné et de l’acquis là-dedans ? Les débats font rage, et c’est un sujet sensible : il y en a toujours pour dire que si c’est inné, c’est une tare que d’avoir une sexualité qu’on juge « contraire » à son but procréatif, qu’on juge donc « normal »… Et il y en a toujours pour dire que si c’est acquis, c’est une maladie mentale. Il ne sert donc à rien de trancher, si seulement c’est possible, dans ce type de débat empoisonné.
Par ailleurs, je sais qu’il existe des bisexuels assumés, normaux, qui n’ont pas honte de leur double attirance. J’en connais, et même très bien. Si je me définis personnellement comme gay, et que je suis tombé amoureux d’un homme, il n’est pas exclu que je sois attiré par des filles… La morale de l’histoire, s’il en est une, est qu’il faut se décomplexer un peu et s’affranchir de certains carcans, qu’on soit gay ou hétéro.
C’est si rare de tomber amoureux de quelqu’un, si en plus on doit s’arrêter à un détail comme le sexe… Se faire du bien, c’est toujours se faire du bien, en dépit de toute convention.