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Côté Beurre
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19 mars 2008

Cheesy Todd, une histoire rasoir...

Comme je vous l’avais dit, je suis très cinéma en ce moment. Je suis donc allé voir Sweeney Todd, un film que certains de mes amis m’ont recommandé chaudement… Et j’y suis allé malgré quelques a priori. Comprenez qu’il a eu autant de battage médiatique que le dernier Astérix, et qu’il a eu le même succès. Je en veux pas avoir l’air de comparer l’incomparable, mais ça n’augurait rien de bon.

Mon deuxième a priori, c’est que je connais déjà l’histoire, et qu’elle a été faite et refaite… Je m’attendais à une déception. Je connaissais aussi le compositeur, Steven Sondheim, pour avoir ouï moult de ses musiques pour des musicals de Broadway (et à son sujet, nous reviendrons). Et puis, j’avais déjà entendu quelques chansons, justement, du musical de Sweeney Todd bien avant qu’on ait l’idée d’en faire un film.

Dernier a priori, et non des moindres, les nouveaux films de Tim Burton me font profondément chier. Et c’est normal. Depuis La Planète des Singes, la plupart de ses films sont dépourvus de substance… Et le mieux que je pouvais espérer, c’est une adaptation fidèle mais imagée à l’image si léchée qu’elle en devient aseptisée, ce qui fonctionnait bien avec Charlie et la Chocolaterie mais moins avec d’autres choses.

Je n’ai pas été déçu par Sweeney Todd. Les acteurs sont bien entendu fantastiques, mais d’un autre côté ça n’est pas très difficile pour eux : il leur suffit de surjouer ! Ils ont tout de même appris à chanter, à peu près, même si tout a été réenregistré en studio pour que ce soit parfait. D’ailleurs tout est trop parfait, de la crasse hollywoodienne, cirage et farine de bon ton, à la chorégraphie du moindre cafard qui passe.

Une fois encore, Tim Burton nous offre quelque chose qui manque de burtonisme, de profondeur : de belles images, des maquillages goths, des couleurs retouchées que l’on n’apprécie plus. Burton respecte l’œuvre de Steven Sondheim et tente de s’en faire le chantre, bref, il n’apporte que les images et pas une once de moelle à l’ensemble… Pourtant, on aurait bien aimé.

Voyez-vous, c’est que Steven Sondheim est un génie. Un pur génie. Il n’y a pas d’autre mot. Oh, certes, il a fait de l’alimentaire aussi, mais il a un style bien particulier et sa musique touche parfois au céleste ! Le problème c’est qu’il est né trop tard dans un siècle trop vieux, comme disait Rimbaud. Steven Sondheim est un compositeur d’opéras.

Et il est exigeant. Ses paroles sont complexes, pleines de métaphores, de jeu de mots subtils, ses mesures effrénées et inusitées (3/8 ? 3/16 ?!), et les pauvres acteurs de Broadway trébuchent sur les airs légèrement dissonants et que l’on ne retient pas facilement et qui ne répètent jamais deux fois les mêmes mots : on n’est pas dans de l’opérette, c’est un compositeur sérieux !

Alors bon, déjà, avec des acteurs de comédie musicale qui sont tout sauf des chanteurs lyriques, Sweeney Todd, c’était pas forcément la panacée en matière de show… La musique et le budget lui a valu pas mal de succès, et la mode des films musicaux reprenant, une adaptation par Tim Burton se faisait sentir… Mais en film, tronqué et bourré de récitatifs débiles, c’est… naze.

Pourquoi ? Parce que les éléments opératiques, s’ils passent bien sur une scène, échouent lamentablement au cinéma. D’une part, les récitatifs (ou « dialogues chantés ») sont fait pour rythmer une œuvre de 3 ou 4 heures, et font tache si on les expédie en 2… D’autre part, tout cela est si grandiloquent ! Pompeux ! Grand guignolesque, même, vu l’accumulation de sang assez risible.

L’histoire principale de Sweeney Todd, c’est celle d’un barbier et d’une tourtière qui s’allient, commercialement, l’un tuant des gens pour leur viande, l’autre cuisant des tourtes avec. Les gens de Broadway ont rajouté à ce seul élément déterminant du conte (car c’est une histoire fictive dés le départ, mais nous y reviendrons) des éléments qui ne déparent aucun canon opératique du XIXe siècle, voire d’avant !

Toute cette histoire de bagne, de Sweeney Todd qui revient sous un faux nom pour se venger de quelqu’un qui l’a fait emprisonner à tort pour lui piquer son amour et son enfant, et qui trouve une femme pour l’aider parce qu’ils ont des intérêts communs, c’est tout droit sorti du Comte de Monte-Cristo… C’est fort romanesque, mais qu’est-ce que ça fout là ?

Même si l’on passe sur les invraisemblances et les coïncidences que l’on ne rencontre QUE dans un opéra (déguisements, folie, retour des personnages disparus, coups de théâtre téléphonés, etc.) les attitudes des personnages trahissent le propos. Par exemple Sweeney Todd nous apparaît risible, à causer à ses rasoirs lors d’un duo malvenu…

Le méchant bailli est vraiment méchant, le comique Adolfo Pirelli est vraiment comique, le jeune marin naïf ets vraiment naïf pour un marin, le juge Turpin est si prude et hétérosexuel pour un homme aussi vicieux qu’il en est attendrissant… Et la petite Johanna et son nez refait, j’ai eu envie de l’étrangler de mes mains dés qu’elle a ouvert la bouche pour piauler. Dommage, c’est la seule à survivre !

Quoi qu’il en soit, l’ingénue et son vieux protecteur qui veut l’épouser, ajoutant le quasi-inceste à la liste de ses vices, le jeune marin, la mère empoisonnée et devenue folle, les multiples déguisements, les faire-valoir, le meurtre final des deux anti-héros, sont autant de pièces rapportées qui n’ont rien à voir avec le propos de référence : l’histoire de Sweeney Todd et de Miss Lovett.

Il faudrait pourtant s’entendre sur le propos de référence, puisqu’il y en a pléthore… L’histoire de Sweeney Todd telle qu’elle est contée pour la première fois en 1846 est bel et bien fictive, mais elle ne contient aucun des éléments opératiques précités. Le barbier de Fleet Street se contente de tuer certains clients, et sa maîtresse de farcir des friands à la viande avec.

Cela n’a plus grand-chose à voir avec le film, qui transpose la comédie musicale elle-même une transposition d’une pièce de 1973. C’est cette pièce de Christopher Bond, auteur britannique, qui présente de façon inédite Sweeney Todd comme une victime de la société, et est à demi pompée sur Dumas. C’était à la mode dans les seventies. Question de goûts, mais je trouve que la pièce s’éloigne du sujet.

Il s’agit de folie, d’horreur, de cruauté, de cupidité en temps de crise, mais certes pas de vengeance. Le meurtre et le cannibalisme sont d’ailleurs complètement dédramatisés dans le film comme dans la comédie musicale, le sang trop rouge jaillissant de façon comique, et le cannibalisme n’était même pas souligné dans toute son horreur, mais faisant l’objet de numéros musicaux drolatiques…

L’histoire n’est pas neuve, et se perpétue depuis longtemps. Landru, le docteur Petiot, l’auberge rouge, des faits et des contes partagent maintes similitudes avec ce barbier totalement fictif qu’est Sweeney Todd, sans doute inspiré du premier « fait divers » authentiquement avéré que m’indiquent mes sources, un incident presque identique s’étant déroulé au Moyen-Âge, à Paris.

En 1310, rue des Marmousets (aujourd’hui rue Chanoinesse, sur l’île de la Cité), un barbier et son voisin vendeur de pâtés en croûte dont al renommée s’étendait à toute la ville, furent arrêtés pour exactement le même petit trafic que Sweeney Todd et Miss Lovett. Ils furent brûlés devant leurs boutiques. On touche du doigt un élément clé de l’histoire originale : a la fin, les autorités découvrent tout !

Cette révélation, et le châtiment barbare des meurtriers cannibales, parachève l’horreur de toute l’histoire, et nous renvoie, à mon sens, à notre propre barbarie : après avoir été cannibales et en avoir redemandé, nous brûlons ceux qui nous ont poussé à l’être sur un barbecue géant, car la foule a encore soif de sang… La fin de Sweeney Todd est beaucoup trop intimiste, bon marché.

En définitive, dans Sweeney Todd, la moitié du film, ainsi que sa fin et les motivations « profondes » du personnage principal, sont à jeter aux oubliettes parce que hors sujet. Faire un opéra sur le comte de Monte-Cristo, c’eut été parfait, mais il a fallu composer avec ce que les gens veulent aller voir, et faire du Broadway, des stars, et du sang hollywoodien.

Si je puis me permettre une métaphore culinaire sur un tel sujet, voilà un soufflé qui retombe, trop plein d’ingrédients qui n’ont rien à y voir.

Une_histoire_rasoir

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Commentaires
E
... comme un vrai cinéphile !
F
Je sais que j'ai mis Sweeney Todd dans les films à aller voir mais en fait je ne l'ai pas vu donc je peux pas vraiment donner mon avis. Toujours est-il qu'un Burton reste toujours intéressant à aller voir même s'il est raté! Cependant je suis d'accord avec toi que depuis quelques temps ses films semblent manquer d'inspiration, de ferveur, de tripes. On voudrait qu'il nous fasse un truc à lui, un truc qui lui importe et où il y mettrait ses tripes! Un grand Tim Burton avec une grosse musique de Danny Elfman. Selon mon avis tu peux juger d'un Burton dès le générique!C'est un gars qui lorsqu'il est inspiré le montre dès le générique de départ et la première scène d'introduction! Cf Batman Returns et Edouard aux mains d'argent!<br /> Par contre j'étais pas au courant de cette histoire du moyen age, c'est génial quand la réalité dépasse la fiction!!!
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