Banané !
Je suis frigorifié, seul sur un quai désert au premier jour de l’année. J’attends un train au nom aussi inepte que quadrilettré, qui ne viendra que dans une demi-heure pour me ramener à la Ville Lumière depuis l’immonde trou à rats bourré de barres que quelques prolétaires mal embouchés prennent pour « un quartier charmant et calme, si rare en grande banlieue ».
Comment est-ce que je me retrouve dans ces situations ? Je ne sais plus au juste pourquoi, je me suis senti redevable de ce vieil ami de lycée devenu extrêmement beauf (oui, par exemple, ça lui ferait un deuxième trou au cul que de lire un roman, que dis-je, une nouvelle…) et j’ai répondu oui lorsqu’il m’a invité à sa soirée du nouvel an.
Et puis, c’était sa première dans son appartement, avec sa copine et ses amis.
Comprenez bien que je n’aime pas les réveillons. Les flonflons, la fête du populo qui gouaille, Patrick Sébastien, ce-n’est-qu’un-au-revoir et les beuveries, je ne SUPPORTE PAS. La simple idée d’une fête basés sur le fait de se beurrer la gueule exprès pour pouvoir apprécier des activités atteignant dans la stupidité des sommets vertigineux, sommets qu’elles dépassent allègrement dans le domaine de l’ennui… brrr…
C’est complètement crétin, avouez-le. Mais j’ai commis l’irréparable, et je bats ma coulpe dans le froid d’une gare de banlieue : c’est le prix à payer pour avoir cédé à la pression collective. J’ai vadrouillé sur un chemin obscur, et, plutôt que de passer le nouvel an à jouer avec mon neveu chéri, à manger des plats fins et à faire précisément ce que je veux en famille, je me suis bien fait chier.
Je suis sorti réveillonner chez un ami, parce que dire « j’ai passé le réveillon avec papa-maman », c’est la honte. Même si c’est chouette.
Nous étions moins d’une dizaine dans un petit appartement décoré par le beauf dont je vous parlais. Posters de Michael Jackson, tableaux métallisés d’un aigle ou d’une plage, du plus pur style acheté par un touriste n’ayant aucun goût dans une station de métro, période bleue, napperons et chats mal dessinés, meubles mastocs, lampe en peau de chameau et collection de poupées en plastique en costumes folkloriques de tous les pays…
Oh, il n’est pas le seul responsable. Sa copine, que je nommerai sobrement elephant-girl à cause de son poids et du fait qu’elle a perpétuellement l’air de s’emmerder, a beaucoup aidé. Parmi les invités, citons brièvement une grosse italienne de soixante ans, conne comme ses pieds et d’une inculture à faire peur (la Mamma), un ou deux hétérosexuels pratiquants, dont un mari accompagné de son ânesse.
Laquelle est d’ailleurs pleine, de X mois.
Honnêtement, je savais à quoi m’attendre, mais je ne pensais pas que ce serait si terrible. Je supputais une soirée divertissante malgré tout, bien que pas franchement stimulante, qui se serait terminée vers une heure du matin maximum, ou même un événement duquel j’aurais pu m’éclipser… Mais non. Il n’y avait même pas de cadeau de Noël pour moi, alors que j’en avais prévu pour mes hôtes.
Je ne comptais pas dessus, je ne suis pas intéressé, mais c’est une petite goujaterie. Cela m’évitera au moins d’avaler par politesse une des infectes crotte de nez chimiques que Léonidas ou Lindt qualifient abusivement de chocolat, ou même de confiserie. Autre surprise à l’arrivée, pas de gui… Nos hôtes avaient décidé de s’en passer, et de se souhaiter la bonne année dans un hiatus de tradition.
Comme dit la Mamma, les gens qui meurent puis qui vont pas bien, bah on leur a souhaité la bonne année aussi, hein, au début de l’année où ils meurent, quand on y pense, alors ça porte pas bonheur, finalement !
Pauvre conne. Et la conversation de tout ce beau monde était à l’avenant : c’était encore elle la plus sympathique de ce lot assorti de grands singes rasés. Oh, quand j’y repense, quelle horreur ! A table, mes pauvres oreilles ont souffert : tout ce beau monde répète les mêmes choses, déblatère des imbécillités, énonce lieux communs, évidences et absurdités confondues avec les mêmes airs pénétrés…
Et bien sûr ce ne serait pas drôle s’ils maintenaient un niveau de décibel normal… ils faut qu’ils parlent fort comme des charretiers et des maraîchères ! C’est pourquoi, en plus d’être une insigne torture, ce repas fut d’une lenteur géologique : apéritif + petits fours + deux entrées + un plat + deux légumes + deux desserts + une galette des rois + des gens pressés de jacter plutôt que de manger = …
La maîtresse de maison et son cher et tendre avaient peur de manquer, voyez-vous. Je ne surprendrai personne en disant qu’aux alentours de 23h45, lorsque notre hôte zappa sur TF1 pour se servir de la chaîne du cul et de la pub comme référence absolue sur l’heure du nouvel an, nous n’en étions qu’à la seconde entrée. Et qu’en fait de m’éclipser, je ne disposais d’aucun prétexte avant le dessert.
Mais le pire, c’est qu’il me fallait dépendre de quelqu’un pour rentrer à mes pénates… Même pas, juste pour m’accompagner à la gare RER (j’ignorais où elle se trouve) dans ce quartier peu rassurant de nuit.
Dépendre de quelqu’un, cela veut dire se taper toutes les conversations chiantes du style je rentre plus dans du pimkie, ou j’ai une wii chez-moi, si j’avais su je l’aurais amenée, ou même pire, le sport, le kir royal, ce qu’est une poularde exactement… et ne partir que quand ce quelqu’un a décidé de partir. Cela veut dire aussi bouffer sans ciller des rillettes en boite, un pain surprise Picard et une bûche Carrefour.
Voilà pourquoi je suis resté à attendre patiemment pendant des heures (dont la dernière demi-heure entière debout et habillé de pied en cap dans couloir de la sortie, à écouter nos adieux et à taper encore la discute avec notre hôte, le roi de l’au revoir à rallonge…) avant de pouvoir me tenir ici, sur ce putain de quai désert et gelé, à attendre encore et toujours.
Plus d’une heure pour rentrer à Paris, à vingt minutes de marche de chez moi, gavé d’une boustifaille immonde peu digne d’une gargote pouilleuse, crevé rien qu’à l’idée de devoir me lever tôt pour aller bosser le 2 janvier, et vraiment pas jouasse de m’être couché tard pour STRICTEMENT RIEN, ayant passé un soirée merdique uniquement en compagnie d’abrutis mal dégrossis en lieu et place de ma famille ou mon amant.
Parce qu’il n’est pas minuit, ni une heure, ni deux, mais bien six heures du matin quand je pose enfin le pied dans mon vestibule… Et que je prends ma première et dernière résolution de l’année, ne plus jamais sortir pour le nouvel an.
Bonne année quand même à ceux qui compatissent et n'aiment pas le petit bonhomme en mousse et la piquette à deux balles... Aux autres, crevez. Vous méritez de souffrir, mais je suis d'une grande mansuétude.