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Côté Beurre
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27 décembre 2007

Episode 4 : Des nouvelles des noirs...

Nous autres, à Esclavage S.A., nous embauchons des nègres. Et je ne parle pas d’écrivains anonymes, mais bien de blackoss, de bamboulas, de cafres, de bananias, de sauvages, de négros, de noirauds, voire même de mal lavés. Bien entendu. Je veux dire, la liste des exactions du patron moyen n’est pas complète sans une bonne dose de racisme !

Au cas où vous n’auriez pas compris, c’était un bon mot, une saillie pseudo-drolatique sur le ton de l’ironie au sujet d’un travail que j’abhorre. Bref, je rigolais. Pas sur le fait qu’on embauche des blacks (ce serait raciste et profondément débile de se priver volontairement de leurs talents), mais j’avoue volontiers ne pas cautionner ces termes pour le moins péjoratifs…

Il faut le préciser, surtout en vue de ce qui vient.

Il est très facile de se laisser aller à être raciste lorsque l’on s’occupe administrativement de pléthore de petits salariés étrangers sans trop les côtoyer. En France, les dispositions légales concernant l’embauche semblent d’ailleurs particulièrement racistes, ou provoquer un comportement raciste de la part des entreprises… alors qu’il n’en est rien. Ce serait même plutôt le contraire, souvent.

Mais Esclavage S.A. est une entreprise, donc on y est capitaliste. Donc racistes et exploiteurs. On me l’a encore dit l’autre jour, c’est que ça doit être vrai, non ?

Voyez les filles de la paie grincer des dents et maugréer dés qu’elles voient le dossier d’un étranger doté d’une carte de séjour temporaire, et voyez combien elles sont heureuses de déclarer un salarié qui possède une carte d’identité nationale ! Quelle honte et quelle infamie… Et ça n’a rien à voir avec le fait que les démarches soient beaucoup plus lourdes pour déclarer un salarié étranger qu’un français. Ben voyons.

Et puis nous sommes si racistes, à Esclavage S.A., que nous refusons de faire travailler les pauvres sans-papiers. Vous savez, ceux qui sont obligés de squatter des bâtiments pour qu’on leur offre des logements gratuits. Ah, lala, c’est terrible ça, ma bonne dame. Et c’est du racisme, c’est sûr, ça n’a rien à voir avec le fait qu’en France, ça soit illégal de faire travailler des sans papiers…

D’ailleurs on harcèle couramment le salarié étranger, ici, c’est comme qui dirait une activité quotidienne.

Nous n’avons de cesse que de leur envoyer de méchants courriers en recommandé (doublés de lettres simples, puisque les gens vont rarement chercher les recommandés méchants, croyant éviter le pire) pour leur demander leurs papiers comme un vulgaire flicaillon qui opère un contrôle au faciès. Dés que leur titre de séjour va expirer, on leur rappelle qu’il faut qu’ils soient en règle avec nous. Vilain, non ?

Et nous sommes intraitables… tellement pointilleux, tellement tatillons, pires que des fonctionnaires ! Nous leur demandons des photocopies couleurs recto-verso lisibles de leur titre de séjour, ou qu’ils nous apportent l’original en personne pour en constater l’authenticité. Pas de photocopie en noir et blanc, et surtout pas de fax. Aucun rapport avec le fait que ça soit illisible.

Aucun rapport non plus avec le fait que nous recevons des faux grossiers (ou moins grossiers).

C’est vrai, quoi, il faut leur laisser envoyer des fax de leurs cartes de séjour, c’est tellement plus pratique qu’une lettre ! Et après, est-ce leur faute si nous ne recevons qu’un rectangle gris avec des caractères illisibles, sans nom, sans date, et avec une tache noire en guise de tête ? Ce serait très discriminatoire de dire qu’une photo de black passe plus mal qu’une photo de blanc au fax, non ?

Et puis une mauvaise photocopie c’est plus pratique, pour eux, non ? S’ils veulent travailler pour nourrir leurs femmes et leurs petits enfants, ils sont bien obligés de ruser pour faire face au grand méchant patron. Il faut les comprendre… Ils n’ont pas beaucoup de sous, pas de quoi faire une photocopie couleur… En revanche ils ont un ami qui connaît bien photoshop et qui retouche les dates sur les papiers.

C’est un délit, c’est une cause de licenciement… mais ça c’est pas grave, hein ?

Après tout, ils s’en fichent que le patron aille en prison. Mieux vaut lui que eux. C’est un patron, il est donc coupable par définition. Coupable s’il refuse de les employer alors qu’ils sont dans le besoin. Coupable de ne pas leur donner assez de sous et de suivre ces bêtes lois françaises sur les salaires. Coupable de les harceler pour qu’ils envoient leurs papiers…

C’est normalement à eux de se mettre en règle, selon la loi. Mais on les y aide… Pourquoi ?

Parce que c’est considéré comme de l’exploitation pure et simple de faire travailler au noir des étrangers illégaux. Allez savoir pourquoi. Peut-être bien parce qu’on pourrait menacer de les dénoncer à la police et leur imposer des conditions iniques… C’est pourquoi la loi française prévoit que ce soit le gérant qui aille en prison s’il emploie de telles personnes.

Oh, et l’employeur doit en sus payer un mois de salaire à tous ceux qu’il renvoie en cas d’absence de papiers.

Allez voir cet homme du peuple, Brice Hortefeux, qui a décrété que l’employeur était en totale responsabilité dés le moment où la carte de séjour expire et qu’il ne licencie pas aussitôt le salarié incriminé. Dans la pratique, à Esclavage S.A., on envoie des lettres avant et on passe même des coups de téléphone : on fait tout pour que l’employé soit au prévenu plusieurs fois et à l’avance…

Oh, comme il est méchant, cet employeur !

Alors… Je ne dis pas que tous les employés noirs sont d’immondes profiteurs illégaux, ou des hordes d’étrangers qui viennent voler la sécu des bons français qui travaillent… Parce que ça n’est pas vrai du tout. La plupart des employés, quelle que soit leur nationalité, sont sérieux, et envoient leurs papiers quand ils les ont. Et il y a autant de chieurs chez les franchouillards de souche que chez les autres.

Mais, chaque mois, moi et d’autres esclaves de bureaux, on reçoit de faux récépissés de demande de carte de séjour ; chaque semaine, on relance d’autres employés ; tous les jours, on essaie de faire qu’un maximum de gens puissent bosser pour un salaire normal sans aller en prison… Parce que c’est comme ça que ça marche, et parce que ça arrange tout le monde, voilà tout.

Je suis le mal incarné, c’est clair. Ben voyons.

Matos_de_blackoss

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