Langue de boeufs...
Maintes fois, j’ai constaté que peu de gens savent écrire le français correctement. Je ne parle pas d’un français impeccable, mais simplement d’éviter les fautes les plus graves au niveau de la syntaxe et de la grammaire… La plupart des gens font des fautes parce qu’ils méconnaissent leur langue. Ils ne réalisent pas en la parlant, et c’est malheureux, qu’ils la maltraitent.
Parce qu’une langue possède un esprit. Certes, les langues changent, et ce qui fut parfois un barbarisme est un mot ordinaire aujourd’hui (voyez l’exemple de fromage, déformation du terme ancien et moliéresque formage, qui désigne ce met formé dans un moule à partir de lait caillé…), mais si l’on sait raisonnablement comment tout ça s’articule, rien qu’à l’oreille, on sait ce qui est juste ou faux sans connaître le mot !
Cela va vous paraître mièvre, mais je trouve ça presque magique. Et ça marche… Tenez, par exemple, des millions de gens font encore des fautes à appeler, jeter, ou aux verbes du même style, ne sachant pas quelle consonne doubler ou quand. Il suffit pourtant d’écouter parler français pour savoir que le (e) devant une consonne doublée se prononce (è), sans accent.
Par voie de conséquence, quand vous entendez « jète » il faut écrire jette, et quand vous entendez « apeulé » il faut écrire appelé. C’est vraiment tout ce qu’il y a de simple, et ça marche à tous les coups. Il faut bien entendu un certain niveau de connaissance de base du vocabulaire pour comprendre ce genre de choses, et c’est là que le bât blesse : le vocabulaire va décroissant chez le français moyen.
Oh, je me fiche complètement qu’on utilise des mots étrangers, mais si au moins on les utilisait à bon escient ; ou qu’on n’inventait pas d’horribles néologismes incohérents, qu’on n’éructait pas d’infinies périphrases, bref, si l’on cessait de s’écorcher les oreilles pour utiliser les mots adéquats, des mots qui existent déjà dans notre langue si riche, on conceptualiserait peut-être mieux les idées dont on parle !
J’ai dans un précédent billet (qui n’est déjà plus tout jeune) abordé le sujet des néologismes du style de l’affreux gentryfication à la place du fort simple embourgeoisement (une syllabe de moins que son homologue incorrect !)… Je pense que, si l’ignorance est la source du mal, elle est excusable lorsqu’elle est honnête, admise, et qu’on l’avoue pour tenter de la corriger.
Mais rien n’est pire que cette propension à déblatérer qu’on ces pédants qui, parce qu’ils croient déchoir s’ils s’expriment simplement, emploient des mots sans en connaître le sens. Cela s’entend vite, lorsqu’une méconnaissance de la construction des mots français en général mène à une mauvaise conception d’un mot en particulier, d’où une mauvaise orthographe et une mauvaise prononciation, assortie d’un contresens !
Mais voilà, parce que ça fait bien, parce que ça fait distingué et que ça ressemble à quelque chose de vaguement entendu, parce que l’on croit savoir… On finit par dire n’importe quoi. Je vais vous donner un seul exemple, vous en trouverez beaucoup d’autres vous-mêmes, mais avouez que celui-là n’est pas mal : amodier. J’ai entendu des journalistes sérieux dire que telle loi a été amodiée.
Il y a sans doute confusion avec amender, amodié étant utilisé ici dans le sens de modifié… Mais en entendant ça, moi, j’étais pété de rire. Parce que le verbe amodier n’a RIEN à voir avec une modification quelconque. Il est plutôt rustique, malgré son élégante sonorité. Amodier signifie, selon mon Littré, donner à ferme, c’est à dire concéder l’exploitation d’une terre ou d’une mine moyennant une redevance périodique !
Avouez qu’on nage dans l’absurde… Et c’est une erreur courante en politique. Oh, et la prochaine fois que quelqu’un me dit que Jean-Marie Le Pen est cultivé et qu’il sait se servir des mots, je lui répondrai que, s’il est un tribun né, c’est parce qu’il parle à des imbéciles un langage d’imbécile. L’erreur au sujet du verbe amodier, c’est lui qui l’a sortie il y a quelques temps !