Sur le pont d'Avignon...

… On vous pique tous vos ronds.

Bon, soit, j’exagère. C’était pour la rime… Je vous ai parlé de Millau. Développons un exemple de favoritisme mal placé à l’endroit de cette ville. Le viaduc, hideuse prouesse du génie bétonneur contemporain, dresse orgueilleusement ses câbles bandés et ses piliers fourchus vers un ciel indifférent, gris-blanc face au grand bleu, sans doute pour éviter que les cacas d’oiseaux se voient de trop.

Plusieurs aires et routes à points de vues le contournent, pour pouvoir l’admirer sous tous les angles, pour bien en voir toute la portée, à la fois celle du pont et celle de son ignominie.

Et, à quelques lieues de là, le pont du Gard n’existe plus.

Je rassure tout de suite tous ceux qui ont grandi avec, dans vos manuels de géographie de l’école primaire et sans doute quelques autres sur l’histoire gallo-romaine, la photo du bel ouvrage romain, aqueduc et viaduc par-dessus le Gardon, prouesse d’ingénierie accomplie sans grues ni béton il y a, oh, bien plus de quinze siècles… Il est toujours debout, et il en impose.

Haut et élégant par ses arches de pierres sobres et bien équilibrées, harmonieusement redessiné par l’érosion de ses vieux blocs, il est autrement plus impressionnant que l’autre mocheté bombardé parcmètre par nos gouvernants… Un mange-fric dispendieux, mais qui rapporte grâce aux péages et aux impôts. Oui, on n’a pas fini de le payer, celui-là, c’est moi qui vous le dis…

Il est là, il attend, jetant son ombre sur la verte vallée de sa ville surfaite, ce hideux viaduc de Millau… Il guette, tendu et plein de pattes comme une araignée géante qui se serait épilée, les pauvres mouches qui, engluées dans les bouchons, viennent perdre leurs sous dans la toile de radars et de stations-service à l’essence surtaxée que constitue le réseau routier du Sud de la France.

Mais le pont du Gard, il n’y a que des piétons dessus. Il ne reste de sa toile que le joli canevas et le paysage peint dessus, pour l’édification du monde. Et on le voit de loin, donc le spectacle de cette splendeur est entièrement gratuit. Il l’a d’ailleurs toujours été, personne chez les latins n’ayant pensé à faire payer qui que ce soit pour faire regarder un pont sans le traverser.

Mais c’est un monument historique… Et, pour l’état, c’est un crime que de laisser un monument visible sans faire payer un droit d’entrée. Oh, ça arrive, bien sûr, mais c’est à titre exceptionnel, lors d’opérations spéciales, ou pour des édifices très choisis. On le proclame alors sur tous les toits, et de toutes façons il y a toujours une boutique à la sortie.

Cette gratuité honteuse devait cesser. Il est inacceptable que les Français puissent jouir de quoi que ce soit sans payer leur écot au racket de la mafia légale que Florent Pagny et Pascal Obispo ont si maladroitement montré d doigt… (Et a ceux qui diraient qu’il n’y a pas de taxe sur le sexe, je répondrai qu’il y a des frais d’hôpitaux lorsqu’on a un enfant, et que les capotes coûtent vraiment très cher !)

Bref, l’état a trouvé la parade là aussi. A force de routes détournées ne passant plus à côté, de parkings, d’immeubles industriels, de travaux publics, voire de rangées d’arbres stratégiquement placées, il est quasiment impossible d’apercevoir le pont du Gard depuis son automobile. Pour en voir autre chose qu’un tout petit bout, même pas une arche, il faut « y aller ».

Il faut faire une visite en bonne et due forme, payer cinq euros le parking, marcher quelques huit cents mètres sur une route goudronnée bordée d’arbres, et si possible acheter sur place rafraîchissements, guides et colifichets. Je me demande même si la visite n’est pas payante, s’il n’y a pas quelque « audioguide », cette invention diabolique…

S’il y a un autre accès, que j’aurais manqué, celui-ci est fort labyrinthique.

Ainsi, alors que le fameux pont d’Avignon, le demi-pont St Bénézet que l’on peut contempler des deux rives sans rien débourser, n’est payant en tant que monument que si l’on désire se rendre dessus (ce qui paraît à peu près normal, encore que…), il faut payer pour voir le pont du Gard. Il devrait se voir à des kilomètres mais on a pris grand soin de le camoufler à tous ceux qui veulent s’en approcher !

Vespasien serait fier…