Don we now our gay apparel...

2 juillet 2007

Don we now our gay apparel...

Quoi ?! Un billet gay ? Encoooore ?

Eh oui, encore, toujours. Et pourquoi pas ? Aujourd’hui je suis inspiré par ça, demain, je le serai par autre chose, qui sait ? Je ne suis pas obsédé par le sexe, mais… Attendez, qu’est-ce que je raconte, moi… Mais si, bien sûr que je suis obsédé par le sexe ! Bon, quoi qu’il en soit, j’aimerais vous faire part d’une petite chansonnette qui est venue à mes oreilles un peu par hasard.

Elle fait partie du spectacle Chantons dans le Placard, sponsorisé par le Tango, la boite à frissons (et de nuit) des gays et des lesbiennes qui n’aiment pas la techno… C’est très bien. Enfin il paraît, moi je n’y ai jamais mis les pieds. La chanson date de 1933, et fut chantée par Jacki. Pas celui de Dorothée. Un chanteur de l’époque, au style cabaret/comique troupier qui roule les R.

Oui, ça sent le grenier.

Et pourtant, à l’époque de l’Insouciance, entre les deux guerres, le public était sans doute moins prude que dans les années cinquante, et particulièrement le monde de la nuit, dans les cabarets… Aussi cette chanson présente-t-elle, en une métaphore longuement filée, le paysage de la vie homosexuelle, de cette sexualité discrète qui n’était pas si feutrée que ça à l’époque…

Taisons-nous, voici les paroles (avec mes commentaires) :

La Tapette en Bois (par Jacki) :

On a depuis quelques temps
Les jeux les plus amusants.
Le yoyo
C’était beau
Quand c’était nouveau…
Mais à présent c’est fini,
Car les grands et les petits
Ont déjà
Remplacé
Ce jeu distingué !                               Les homos se cachent moins, entre les deux guerres. Après la Der des
                                                            Ders, on ressent comme un besoin de libérer la société… Mais je ne
                                                            vais pas vous faire un cours d’histoire. Lisez, que diable !

Refrain : Aujourd’hui partout on voit
La tata, la tapette ;
C’est un jeu des plus adroit,
La tapette en bois !

Le refrain fait évidemment allusion, à travers la métaphore du jokari (une balle de caoutchouc accrochée par un élastique à une raquette en bois) aux homosexuels, par l’insulte fort usitée de tata, tante, ou tapette. Et il faut être adroit pour bien y jouer, à ce jeu, parce qu’au moindre faux pas vous êtes publiquement accusé de sodomie, et c’est un crime qui peut valoir la prison… Comme si le stigmate public n’était pas suffisant.

On peut voir un peu partout
Le fameux billard à trous :                Le Billard à trous est l’ancêtre du billard électrique, ou flipper…
Pour ce jeu                                        Evidemment, il symbolise ici les lieux de drague :
Merveilleux                                        les parcs, certains bars, mais surtout les pissotières, les urinoirs alignés
Chacun fait la queue.                      figurant les trous d’un billard, devant lequel les homos font la queue en
Mais quand on attend son tour,    guettant un signe de reconnaissance discret. En attendant de passer sa
Désormais, on peut toujours          bite dans l’un des trous du billard (un glory hole…) on se branle,
S’amuser                                           tout seul, aux urinoirs !
Gentiment
Pour passer son temps !

Au Refrain

Ce petit jeu-là n’est rien,                   Je pense que personne n’a besoin d’explications pour jouer
Il suffit d’un va-et-vient :                au jeu de la tapette…
Toc-toc-toc,
Pan-pan-pan,
Ça c’est épatant !
Mais la balle en caoutchouc          …Mais n’oubliez pas le préservatif ! Eh non, ce n’est pas un
Parfois rebondit sur tout,                anachronisme. Le préservatif masculin en latex est répandu en
Et soudain,                                        Angleterre et depuis longtemps connu en France à l’époque de
Quel écueil,                                        la chanson. C’est la firme Goodyear (celle des pneus) qui a inventé le
On la prend dans l’œil !                   procédé en 1880. Ils servaient de contraceptif, et de prophylactique
                                                            (c'est-à-dire de protection contre les maladies vénériennes, plutôt
                                                            embêtantes à l’époque, même sans le SIDA, parce que la
                                                            pharmacopée n’était pas ce qu’elle est à présent).
                                                            Néanmoins, ils sont à l’époque encore peu pratiques, d’où la remarque
                                                            « On la prend dans l’œil » : C’est ce qui arrivait, la plupart des capotes
                                                            n’étant alors pas jetables mais lavables. Et garanties cinq ans, selon le
                                                            fabricant. D’où quelques acrobaties pour les enfiler…

Au Refrain

Toto, qui est un malin,                      Malin suggère qu’il est rusé, qu’il cache donc quelque chose…
Y joue du soir au matin.                   … Mais pas du matin au soir : C’est une activité nocturne !
Ses parents
Ont la paix
Grâce à cet objet !                            Certes, les parents ont la paix, car il ne ramène pas de filles chez-eux !
Hier, dans la salle à manger,
Son ballon s’est détaché…             Et voici une métaphore du coming-out forcé, par accident, peut-être la
D’un seul coup,                               découverte d’un objet compromettant, ou peut-être parce que l’amant
Il cassa                                              régulier et le garçon s’embrassaient « dans la salle à manger »…
Les verres et les plats !                   … Et les parents le prennent mal : il y a de la vaisselle cassée !
                                                            Sortir du placard, à l’époque, était évidemment bien plus dur que de
                                                            nos jours, si dur que c’était d’une extrême rareté : Pour vivre sa vie
                                                            d’homo, il fallait être très riche et très discret ou tout abandonner
                                                            et se faire travesti,gigolo… Ou artiste de cabaret, comme Jacki.

Au Refrain

C’est un jeu qui fait fureur
Sur la plage et même ailleurs,
On joue par-ci et par-là                   Certes, par-ci et par-là, c'est-à-dire, explicitement, par tous les trous...
Ce petit jeu là.                                  C'est aussi une allusion aux homos mariés et pères : à voile et à vapeur.
Des vieux messieurs distingués,
Des p’tits jeunes gens pommadés, Aujourd’hui, les escort-boys pleins de gel chassent le sugar daddy…
Deux à deux,
Sans témoins,
Y jouent dans les coins…                Et il y a aujourd’hui bien des plages où les buissons sont souvent
                                                            occupés, que ce soit par des jeunes ou des vieux, mélangés ou non !
                                                            Il n’est pas démodé, le mythe de l’éraste et de l’éromène… Le Monsieur
                                                            Bien qui fait l’éducation du tout jeune adolescent. On en trouve encore
                                                            beaucoup, d’abord parce qu’il y a des vieux très séduisants, ensuite
                                                            parce que les jeunes garçons cherchent parfois une figure paternelle
                                                            pour les guider dans un milieu qu’ils découvrent…
                                                            Et aussi à cause du fric, ne le nions pas.
                                                            Il est aussi plus facile de se reposer, quand on est jeune, sur quelqu’un
                                                            qui est au dessus de tout soupçon et possède quelque influence, dans
                                                            la société des années trente où l’amour entre hommes n’est que le fait
                                                            des grecs, et de certains écrits interdits que les fils de bonne famille
                                                            ne devraient pas voir.

Au Refrain, bis.

Cette chanson est donc un petit air joyeux, pas encore sur le thème du "we're here, we're queer", mais déjà sur l'existence revendiquée d'une minorité secrète qui n'a pas choisi son orientation sexuelle, avec ses lieux, ses codes, ses complexités, ses différents personnages, et surtout ses problèmes... Lesquels ne sont pas jugés, ni en bien ni en mal, dans la chanson. Militant ? Peut-être, peut-être pas, mais en tout cas clairement engagée, avec une pointe d'inquiétude face à la tendance de l'année de sa sortie.

Parce qu'en 1933, au plus fort de l'amitié franco-allemande de l'entre-deux guerres, Hitler accède au pouvoir en Allemagne (élu démocratiquement), et les premiers camps de concentration ouvrent leurs portes. Dés cette année est mise en place le système de reconnaissance des minorités, dont l'étoile jaune, et, pour coller à notre sujet, le triangle rose des homosexuels. Ce triangle est d'ailleurs plus grand que les autres, et désigne les criminels coupables de "relations contre-nature" entre hommes.

On commence tout juste à ressortir ces archives.

Cette chanson, c'est aussi un témoignage de comment les homos vivaient leur sexualité en ce temps-là. Et vous voyez, tout était là, déjà. Ce qu’à changé le mouvement gay, c’est qu’on en parle aujourd'hui ouvertement…

Et surtout, que ce n’est plus un crime.