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Côté Beurre
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26 juin 2007

C'est laid.

Paris, un immeuble miteux non loin du tribunal d’instance, 14h30.

Le petit écosystème grouillant de l’appartement s’écarte, effrayé, lorsque la porte coulisse avec peine. Les gonds ont été huilés, mais un tas immonde obstrue la voie. Il n’était pas là la dernière fois. Une silhouette masquée pénètre dans l’appartement, enjambant les ordures incriminées. Mystère élucidé : le tas est une pile de vêtements moisis et gonflés d’humidité, tombés de leur patère à la dernière fermeture de la porte.

L’intrus se fait précautionneux. Il tente à chaque pas de poser le pied entre les cafards morts tout n évitant ceux qui sont en vie. Peine perdue, il y a une bestiole tous les deux ou trois centimètres. Et des crottes. Après avoir avisé la disposition des lieux, il se dirige aussi vite que possible sans toucher les murs ni les meubles vers la fenêtre la plus proche… Il l’ouvre, et reprend sa respiration.

L’odeur est tout aussi pestilentielle, mais la chaleur est moins atroce, et l’air frais apporte la promesse d’effluves plus neutres dans un avenir proche. L’homme masqué s’aperçoit alors qu’il se trouve dans une cuisine. Il tente un interrupteur crasseux, sans résultat. Plus d’électricité, il s’y attendait, mais… Soupirant, il se dirige vers le réfrigérateur. Presque vide, et rien d’ouvert, mais l’odeur est là.

Le contenu des placards en formica n’a pas eu la chance d’être dans un contenant hermétique, et les paquets de denrées diverses ne sont plus aussi secs qu’à l’origine. Sans même chercher à savoir ce qui bouge à l’intérieur lorsqu’il les attrape, l’intrus laisse tomber tout dans un sac poubelle. Merde, pense-t-il en posant le sac au dehors, c’est pas mon boulot, ça… Les nettoyeurs ont fait ça par-dessous la jambe !

Mais grommeler ne sert à rien. Il prend mentalement note, pour plus tard, de l’existence d’une gazinière rouillée sans bouteille de gaz et d’un lave-linge bricolé dont la marque a été effacée. En sortant de la cuisine, il manque de tomber : A force de slalomer, il a voulu éviter le magnétoscope démantibulé et a failli glisser sur une crotte. C’est une belle crotte noirâtre, pas fraîche, mais qui participe clairement de l’odeur.

Il s’y attendait, à cause de la chatière ménagée dans la porte. Les crottes de rat aussi il s’y attendait, parce que c’est courant, beaucoup plus courant qu’on aimerait le croire. La taille des cafards n’est pas tellement impressionnante, à bien y regarder, mais leur nombre oui : ils s’accumulent derrière le papier peint gondolé, se rassemblant, morts ou vifs, dans les pans qui tombent du plafond à la manière de hamacs.

Cette disposition force presque à se baisser pour passer dans la pièce principale, décorée avec peu de goût et beaucoup de désordre. L’inconnu masqué et ganté remarque le tapis qui semble croustiller à chacun de ses pas, et se sent soulagé de n’avoir pas à regarder tout ce qui se trouve en dessous. Sur plusieurs tables bon marché s’entassent des paperasses presque pas classées.

Un courrier des impôts, même pas ouvert. De la documentation sur des médicaments. Des factures pour le gaz et l’électricité, l’eau… L’intrus feuillette. Celle qui habitait ici était une dame, sans doute cardiaque, âgée. Les toilettes sont sur le palier. Le problème des cafards est inhérent à l’immeuble, et une pétition fait état du mécontentement des locataires.

Elle a dû fonctionner : un feuillet dans la cage d’escalier annonçait la visite d’un laboratoire de désinsectisation. Il y en a bien besoin, se dit l’intrus alors qu’il balaie les débris de la table d’un revers de sa main gantée, accédant à la strate d’en dessous. Quelques temps plus tard, le courrier non encore ouvert et toute une série de quittances vont dans un sac en plastique, différent de celui des ordures.

Dans la pièce se trouvent plusieurs sacs. Vidés l’un après l’autre, ils contiennent des bouteilles, des bougies, un parapluie, quelques photos… Une dame entre deux âges l’air un peu ravagée, un homme grassouillet qui porte fort mal sa soixantaine, deux ou trois jeunes gens sans signes distinctifs, du style qu’on croise tous les jours dans la rue et dont on n’arrive pas à déterminer l’âge si ce n’est qu’il est entre 20 et 35 ans.

Parmi les livres poussiéreux, l’intrus remarque neuf volumes du grand Robert, perdus au milieu de guides sur le bouddhisme, le tantrisme et, ironie du sort, la pensée positive. L‘espoir meurt en dernier, disait une andouille quelconque. Il n’avait vraisemblablement pas eu à fouiller le tiroir à culottes de cet appartement moite comme un vivarium et tout aussi animé.

Une culotte par-ci, un bas par-là, l’intrus écarte et jette sans se préoccuper de rajouter du désordre. Enfin, il trouve ce qu’il cherchait : un petit tiroir, une série de portefeuilles. Bingo. Pas de bijoux, tout juste une ou deux pièces. Mais le vrai gros lot, c’est la carte d’identité et la carte vitale. Les pièces et les cartes vont rejoindre les papiers dans leur sac, ainsi que deux répertoires pleins d’adresses.

L’homme au masque fait le tour de la pièce d’un regard alerte avant de passer la porte du fond. Ici, l’odeur est plus présente. La caisse du chat est vide, près du lit. Les remugles des déjections et des cafards n’arrivent pas à couvrir ce qui vient du lit. Une couverture de camping en synthétique a sans doute servi à envelopper le corps, mais il reste des taches dans l’infâme couche insalubre, matelas moisi sur un sommier de métal.

Les jus de cadavre, ce qui reste quand quelqu’un se décompose dans du tissu, et aussi quand les intestins d’un cadavre se vident au même endroit. Des traces, mais visibles. Avec une pensée inamicale pour les voisins, qui ont vraiment dû attendre que ça sente fort avant de prévenir la police, l’intrus masqué enjambe le linge, les panières en plastique, les boites à chaussure éventrées et les bouteilles de vodka vides.

L’armoire et ses vêtements mités est vite vue. Les boites à chaussure sont vides, ou pleines de chaussures, mais ne contiennent rien de précieux, contre toute attente. Devant le lit trône une vieille télévision en plastique, peinte en gris alu pour faire genre, aujourd’hui en camaïeu de gris et crasse. Elle est posée sur un plateau à roulette en formica bleu devenu beige avec le temps, au dessus d’un autre magnétoscope, entier celui-là.

Une fenêtre peinte et bloquée, deux agendas remplis, trois sacs pleins de médicaments périmés, quatre ou cinq tas de linge sale,  six ou sept bouteilles vides, huit ou neuf magazines épars, dix ou douze milliers de cafards morts… Le chat s’est tiré il y a longtemps et il a eu raison, alors je ne vous parle même pas de raton laveur. L’intrus part refermer la fenêtre de la cuisine. Il est temps de sortir.

Sur la porte refermée à clé, à la lumière diffuse du vasistas de la cage d’escalier, l’homme masqué tire un couteau de sa poche. Ce n’est pas un cran d’arrêt ou un couteau suisse, c’est un couteau de table tout bête. Il lui sert à trancher un morceau d’un boudin rosâtre et mou, puis un autre. Il les manipule, les triture, un peu comme de la pâte à modeler. Deux petites galettes avec un ruban rouge ornent bientôt la porte et la plinthe.

La Marianne de laiton vient embrasser les deux galettes, pour leur conférer un peu de la magie de la République.

Plus tard, le rituel accompli, les limbes de la poubelle accueillent le masque et les gants de l’officiant…

« – Alors, c’était comment les scellés, cet aprem ?
– Bof, sale. Un peu déprimant. Mais très sale.
– Des bestioles ?
– Ouais, et des crottes de chat. Et les nettoyeurs de la mairie n’avaient pas vidé le frigo.
– Oh, beurk ! La prochaine fois je leur dirai… Et l’inventaire ?
– Rien d’intéressant, j’ai mis ça sur le PV. Je t’ai laissé les papier dans le sac.
– Ah, merci.
– De rien… Bon, en tout cas moi je rentre… A lundi.
– A lundi ! »

Une heure après, débarrassé de ses oripeaux et loin des morbides caprices de Marianne, l’homme se douche.

Vive_Oggy

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Commentaires
C
Envie de vomir.<br /> Ambiance donc bien rendue, c'était gerbant, grouillant, suintant.<br /> <br /> Une réussite donc.
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