Regarde, des sots !
La France est en train de vivre le paradoxe qu’ont vécu les Etats-Unis avec George W. Bush… Si dix ans auparavant, on leur avait dit qu’il y aurait une femme noire présidentiable, ils auraient cru à de la science-fiction. Si en plus on leur avait dit qu’elle serait, comme Condoleeza Rice, vraiment très à droite, une républicaine pure et dure contre l’Affirmative Action, ils auraient éclaté de rire, criant au canular.
Aujourd’hui, un fils d’immigré des pays de l’Est est président de la République Française, une femme d’origine maghrébine en est le garde des sceaux, il y a sept ministres sur quinze qui sont des femmes au gouvernement, Bernard Kouchner est aux affaires étrangères et le patron d’Emmaüs est secrétaire d’état. Et c’est un gouvernement si à droite qu’il fait passer Jacques Chirac pour un socialiste !
O tempora, o mores…
Moi, j’aime bien Rachida Dati. Elle est brillante, et elle mérite vraiment son poste de ministre de la justice. Elle fait moins de racolage que les autres, d’une part parce qu’elle n’est pas élue, d’autre part parce que ça n’est pas son truc : elle n’est pas vraiment convaincante en public. Je m’en suis aperçu dans une réunion électorale pour je ne sais plus quel bedonnant de service de l’UMP, à laquelle j’étais présent uniquement pour la voir, elle.
Oui, parce que je suis peut-être à droite de coeur, mais je ne milite pas. Jamais. Comme disait Kierkegaard, la foule c’est le mensonge. C’est non seulement un manque d’élégance de porter des t-shirts pareils et d’aller se salir au contact des plébéiens, mais c’est un manque de jugement que de se priver de porter un regard critique (surtout sur ses propres opinions) en s’abreuvant volontairement d’un discours biaisé.
J’ai horreur de cet esprit de corps populacier, limite footeux. Et puis c’est des coups à se faire cataloguer, étiqueter, montrer du doigt par ses amis, ficher par les RG, et à payer des cotisations exorbitantes, tout ça pour assister à des meetings ringards ou tout le monde casse du sucre sur un adversaire pourtant respectable… Sans voir combien il est idiot de se priver de casser du sucre sur son propre candidat aussi.
Mais je digresse… Donc, je suis allé voir la Dati dans cette réunion publique, parce qu’on m’avait dit qu’elle répondrait à des questions. C’est pour ça que je me suis trimballé à l’autre bout de la capitale, un soir ou j’étais fatigué, pour m’acoquiner avec des vieillardes et des cathos moyens dans une école maternelle, au milieu d’étudiants à qui on a bourré le mou à droite plutôt qu’à gauche (et ce n’est pas mieux)…
Sans oublier les messieurs habillés de façon trop banale avec des oreillettes et des bosses sous l’aisselle.
J’ai dû me taper les discours ronflants de la micro-mini-politique infinitésimale de quartier, du genre de celle qui décide s’il faut construire un bâtiment là ou cent mètres plus loin… J’ai dû me taper le comité des vieilles filles (pardon, l’association des femmes du quartier) qui appelle la ministre par son prénom (quel toupet !) en la congratulant sur son parcours exemplaire de femme carriériste. Très paternaliste, paradoxalement !
J’ai dû aussi me taper le retard inévitable de la réunion… Un ministre, c’est en retard par définition.
Toujours est-il que j’aurais pu aussi bien me la carrer ou je pense, ma question… Pas dans le cul, mais dans une lettre adressée à la ministre, à laquelle elle n’aurait pas répondu. Parce qu’elle est très occupée. Le problème n’est pas qu’elle soit occupée, mais que ce fut une réunion électorale pour un candidat à députer. Donc c’est le papa-brioche de service qui a sélectionné les questions, octroyant son micro à ceux dont il aime... les voix.
Quant aux questions, elles étaient prévues d’avance, vu leur teneur en connerie.
L’une des questions était posée par le porte-parole d’une association qui s’oppose au projet de nouveau McGuffin au milieu du quartier, et qui le préfèrerait un peu sur le côté, pour changer. C’était histoire de montrer un opposant : Il a été hué, tout comme dans une assemblée générale d’étudiants trotskystes… Parmi les autres intervenants, l’association des pouffes ménopausées du quartier (les susdites qui tutoyaient madame Dati).
Autre « question », un professeur retraité parle en larmoyant du temps béni des années cinquante (tu parles…) ou les enfants maghrébins étaient « civilisés »… Un type en fauteuil roulant vient crier haro sur la méchante gauche qui donne des sous aux chômeurs et pas à lui, qui a un travail, mais qui n’arrive pas à avoir de prêt car il est handicapé. Tout cela est poignant, et sans doute vrai, mais le gouvernement travaille déjà là-dessus.
Il y a bien sûr eu un jeune avocat de droite, symbole de l’embourgeoisement de la circonscription, qui pose une question sur le budget de ci ou ça, mais ça n’est rien de bien profond… Comme dans l’émission de TF1 de sinistre mémoire qui a fait de cette campagne électorale un croisement bâtard entre un psycho-test de magazine féminin et qui veut gagner des millions…
La victoire du cabas de supermarché sur le bagage intellectuel.
Et puis après ce joli passage très organisé, et le discours mou d’une Rachida Dati manquant singulièrement de présence, à l’évidence fatiguée d’avoir à faire ce genre de choses au lieu de bosser, on remballe. Point. Pas d’improvisation, ne prenons surtout pas le risque d’une question de trop, on risquerait de diluer le message destiné aux électeurs (pourtant déjà acquis)… Et puis après les gens ratent le film sur la Une.
La ministre est très occupée, plus de questions, merci.
O a soigneusement évité les questions de fond. Mes questions, en tout cas. Comme par exemple : Notre pays connaît une crise de la justice, que les gens ne sentent pas vraiment proche d’eux. D’autres pays élisent leurs juges au suffrage universel. La France a mis en place des juges élus aux prud’hommes et dans certains tribunaux de corporations, mais avec des résultats pas toujours très justes… Quelle solution y aurait-il ?
Ou encore : Le président prévu des peines plancher et une réforme de la justice, renforçant la sévérité face aux récidivistes. Les dossiers brûlants du moment vont mener, qu’on le veuille ou non, à des arrestations plus nombreuses. Or, faute de moyens et de place en prison, de trop nombreuses peines ne sont déjà pas appliquées… Doit-on, par exemple, recourir à l’administration privée de prisons ? Quelles sont les alternatives ?
Je ne cite que les deux questions les moins osées, les plus simples, les plus en rapport avec l’activité du ministre qui sont dans mon répertoire. On eut pu l’interroger sur les activités du gouvernement tout entier, et, conjointement avec le candidat à la députation, aux projets de majorité parlementaire de droite qui se dessine déjà. Mais ce ne sont pas des questions de campagne…
De campagne, comme bon pain de la ménagère. Des questions qui doivent bourrer, nourrir, bouffir de propagande sans aucune finesse un intellect qui pourrait peut-être être avide de mets plus recherchés si par hasard on les lui présentait… Mais ce serait sans doute donner, je vous l’accorde, des perles aux cochons. Qui aurait compris ces questions ? Je ne sais pas. D’ailleurs je m’en fous…
Ce qui compte c’est que moi j’aurais pu les poser. Et moi j’aurais compris.
Proximité, c’est le lieu commun du moment. La police de proximité (comme si la police était un service qui opérait loin des gens…), les juges de proximité (pour les toutes petites querelles de clochemerdouille, histoire de décharger les autres juges et dire aux gens qu’on s’occupe d’eux), services, commerces, forfaits de proximité… Etre proche du peuple, c’est bien joli, mais il y a quand même un gros inconvénient.
Si François Mitterrand avait écouté le peuple, on guillotinerait encore en France. Si la reine Vierge avait écouté qui que ce soit, l’Angleterre serait devenue une province française ou espagnole. Si Dickens avait suivi les conseils d’un forum Internet de ses fans (s’il avait existé en son temps), Oliver Twist eut été une comédie et il y aurait eu cinq suites genre blockbuster, toutes avec un gros succès sur le moment…
Mais on aurait probablement oublié le nom de Charles Dickens en quelques dizaines d’années.
Parfois, les bonnes décisions choquent le bas peuple… Souvent, les bonnes questions ne sont pas comprises.
Après cette déception, mon opinion sur l'actuelle ministre de la justice n'a pas changé d'un poil... Elle doit quand même avoir autre chose de plus important à faire pour ces gens que de leur parler, et même pas de son boulot en plus. Même si elle ne partage sans doute pas mon avis on ne peut plus négatif sur les vieux, les militants, les électeurs, les associations et les gens en général.
Elle doit aller à ce genre de bourbier, elle, elle n'a pas le choix. Moi si, et on ne m'y reprendra plus.