La Procure, 7
C’est un jour où il y a peu de passage, et aucune procuration à faire. Une dame entre deux âges, d’un châtain indéfinissable, avec des vêtements communs et des traits peu remarquables, entre dans le tribunal d’instance. Elle avise le panneau indicateur, puis se dirige vers le bureau des procurations. L’un des guichetiers a la tête baissée sous le haut guichet, triant des papiers, l’autre est debout et lui dit bonjour madame.
Elle salue brièvement, et, sur le ton de la plaisanterie, demande si le collègue à la tête baissée dort. Ce dernier relève la tête, étonné, tandis que l’autre répond que non, tout aussi étonné. La dame pose ensuite quelques questions sur la procédure en vigueur au sujet des procurations, puis, comblée par les renseignements qui lui sont donnés, s’en va en souriant. Encore un client satisfait.
Deux jours plus tard, la greffière en chef du tribunal reçoit une lettre à peine polie, cauteleusement signée de façon indéchiffrable, qui dit que, bien qu’ayant été fort bien reçue et renseignée, la personne a trouvé un des factionnaires en train de dormir à son poste. La lettre se termine par une prière ferme, à qui de droit, de prendre les mesures qui s’imposent.
Suivant ce conseil, après avoir montré en riant la lettre aux préposés, la greffière la met au panier.
Comme celles qui, certains mois, nous arrivent pour les juges de la part des gens déçus par quelque sentence. Ou encore les épîtres des déçus de ne pouvoir faire ci ou ça, de n’avoir pas pu aller à l’encontre de la procédure. Ou bien les missives de ceux qui ont trouvé une porte close, un fonctionnaire mal luné, une démarche trop incompréhensible… Enfin, les messages haineux de tous ceux qui nous ont dans le nez.
Madame, vous avez été reconnue, même si, ayant pris soin de ne pas faire de procuration chez-nous, vous n’avez pas laissé votre nom. Nous n’en avons pas besoin pour vous démasquer : Vous êtes le visage lâche et affecté de la mesquinerie… Et il en faut, pour prendre sa plume et envoyer au prix d’un timbre une dénonciation anonyme, bien plus que pour envoyer un e-mail ou laisser un commentaire incendiaire sur Internet !
A ceux qui ressentiraient de la sympathie envers cet injuste courroux, sachez que le tribunal n’est pas un endroit propice au sommeil : ça va et ça vient, et il y a même des caméras de sécurité. De plus, il y a suffisamment de travail pour que, même coincés derrière un guichet à attendre les justiciables, l’ennui ne puisse nous trouver bien longtemps. Et, rassurez-vous, nous faisons tous nos nuits depuis longtemps !
Les Français nous paient avec leurs impôts, ils sont donc nos patrons. Quel dommage que certains n’aient que l’âme des petits chefs…