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Côté Beurre
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15 mai 2007

La Procure, 6

Vous pensiez que c’était fini ? Vous aviez oublié les législatives ! Le guichet est toujours ouvert, à tous ceux qui, par mégarde ou par égoïsme vacancier, ont prévu de longue date d’être absents le mois prochain. Inexplicablement, les législatives du 10 et du 17 juin sont moins importantes aux yeux des électeurs que les présidentielles, alors que sans législateur ad hoc, l’exécutif n’est rien…

Mais glissons sur ce propos liminaire, car déjà l’on voit poindre la blondeur à peine fanée ornant la tête de celle qui s’approche du bureau dûment marqué "procurations uniquement". A l’orée de la dernière ligne droite vers la ménopause, elle n’est plus si mince, plus si blonde, plus si jeune, mais c’est encore une femme active qui clopine d’un pas énergique, tout chemisier dehors.

Dialogue de sourds, qui pourtant s’annonçait bien :

Bonjour madame, c’est pour une procuration ?
Oui, enfin, au sujet d’une procuration. Il y a eu un problème !
Ah ! Expliquez-moi ça.
Voilà, mon frère a fait une procuration et en a résilié une autre, pour les présidentielles. Seulement, la résiliation n’a pas été enregistrée sur les listes de sa commune, et c’est donc l’ancienne procuration qui était encore active le 6 mai ! Est-ce que tout a été bien enregistré ? Que s’est-il passé ?
Nous allons voir ça… Votre frère est-il venu faire sa procuration ici ?
Oui, sinon je ne serai pas venue !
Bien, je vais chercher le registre. Vous avez son récépissé ?
Non, il l’a gardé, mais j’ai son nom, et le jour où il l’a faite faire.
Normalement c’est confidentiel, vous savez, mais s’il n’a pas pu venir…
Non, mais ça devait être moi la mandataire, vous avez mon nom normalement.

Bon, allez, c’est exceptionnel et puis le scrutin est passé… Donc ça ira… Alors… Je lis ici qu’il n’y a pas eu de résiliation, mais ça peut vouloir dire simplement que votre frère n’avait pas fait faire sa première procuration dans ce tribunal.
C’est ça, en effet, la première, il l’avait faite au commissariat.
Bon, je comprends, nous n’en avons donc pas trace…
Ah, donc voilà, c’est bien vous qui n’avez rien marqué dans le registre, voilà l’erreur ! C’est de votre faute !
Madame, ce registre n’est qu’une trace que nous gardons quant aux procurations que nous faisons dans ce tribunal seulement… Les mairies n’y ont pas accès, ça n’a rien à voir.
Mais alors les mairies reçoivent quoi ?
Aux mairies, nous envoyons un volet du formulaire de procuration, lequel porte une case "résiliation". Donc si la case avait été cochée, toute procuration antérieure aurait été résiliée…
Ah, donc c’est à cause de vous ! C’est vous qui n’avez pas coché la case !
Ne vous énervez pas, madame, laissez-moi finir. C’est au mandant de cocher ou non la case, tout est marqué sur le formulaire (comme vous pouvez le voir sur celui-ci) et de plus nous posons toujours la question de savoir s’il résilie d’anciennes procurations…
Donc c’est de la faute de mon frère, c’est ça ?
Je n’ai pas dit ça. Peut-être que cette fois-là il y a eu un oubli. Nous, dans ce tribunal, nous ne pouvons pas le savoir, maintenant. Mais la procuration a bien été enregistrée et envoyée, en tout cas…
C’est bien les fonctionnaires, ça, toujours la faute des autres !
Madame, ne soyez pas désobligeante. Je ne blâme personne, je dis seulement qu’on ne peut pas savoir. Il ne nous l’a peut-être pas dit, Il peut y avoir eu une méprise des deux côtés, on ne sait pas…Ou alors tout est bien parti mais c’est à la mairie qu’il y a eu un cafouillage…
Non, mais vous accusez mon frère d’avoir mal rempli son formulaire, c’est ça ?
Comme j’allais vous le dire, il est possible aussi que la poste ait perdu le formulaire, ou qu’il ne soit pas arrivé à temps : Je lis ici que le lieu de vote de votre frère est un petit village dans le sud, et que sa procuration a été faite seulement quatre jours avant le scrutin…

Arrêtez, la poste ça arrive en deux jours, trois maximum !
Oui, mais les mairies ne peuvent prendre en compte, matériellement, pour des questions purement logistiques, que les procurations arrivées avant le samedi.
Vous pourriez le dire !
Nous le disons à tous les mandants qui viennent la semaine précédant le scrutin. Maintenant, au sujet de votre frère, vous pouvez demander à la mairie, au cas où. De toutes façons ni moi ni personne dans ce tribunal n’avons un moyen de savoir pourquoi, dans ce cas précis, votre frère n’a pas pu voter…
Oh, il a pu voter, là n’est pas le problème. Finalement, il était là, ainsi que son mandataire, et aussi celui de l’ancienne procuration. Mais de toutes façons au bureau de vote ils se connaissent tous, il auraient accepté le vote.
!!!
C’est un tout petit village.
Vous voulez dire qu’en fait tout s’est bien passé ?
Oui, ils ont dit que c’était à cause de la poste, aussi, ou que ça s’était perdu, la même chose que vous.
Eh bien vous voyez… Mais puisque tout s’est arrangé…
Oui, mais je ne vois pas le rapport ! C’est à cause de vous qu’il y a eu une erreur !
Mais… S’il n’y a pas eu de problème…Pourquoi êtes-vous venue ?
Parce qu’il y a eu une erreur, la procuration n’a pas été résiliée !
Quelle erreur ? Qu’est-ce que vous nous voulez, au juste ?
Vous refusez d’admettre que l’erreur vient de vous ?
Madame, je vous le dis : Nous avons enregistré et envoyé la procuration, il peut y avoir eu résiliation sur le formulaire, ou pas, ou elle a été égarée au courrier, ou elle n’est pas arrivée a temps, ou bien c’est la mairie qui ne l’a pas prise en compte pour une raison inconnue, on ne sait pas… Après, je veux bien admettre n’importe quoi, moi, quelle importance !
Mais c’est la faute a qui alors ?
Ecoutez, si vous venez juste pour discuter, ce n’est pas la peine, on a du travail, madame… En plus, pourquoi ce n’est pas votre frère qui est venu ? Il n’a pas pu ?
Il n’a pas voulu, il s’en fiche… Mais moi je veux savoir POURQUOI J’AI PU VOTER !
(Gros soupir…)
Ne nous énervons pas. Je vous ai dit tout ce que je savais, je n’ai rien de plus à vous dire. Maintenant, si vous permettez, je vais m’occuper de quelqu’un qui a réellement besoin de quelque chose.
Ha ! Donc c’est de votre faute !
Oui, si vous voulez. Au revoir madame.

Voilà. Si ça n'était pas aussi chiant, ce serait du Courteline.

C’est sûr, il n’y en a pas beaucoup, mais quand on rencontre un de ces énervés de la loi, un seul de ces Don Quichottes voulant s’attaquer au géant bureaucratique alors qu’il n’y a que des moulins à vent, ça vous fait perdre du temps pour dix… C’est comme un besoin d’aller crier sur quelqu’un, d’aller partager sa frustration et gâcher la journée d’un autre.

Cette dame est partie avec la réponse fausse qu’elle s’était faite toute seule avant de venir… Si ça se trouve, cette pauvre femme passait simplement une mauvaise journée, ou elle était énervée à propos d’autre chose, et puis paf, comme ça, elle a décidé d’aller se défouler. Elle n’a que l’impression d’une victoire, au goût pourtant amer, sur l’un des gardes monstrueux de la Forteresse de l’Administration.

Le problème c’est qu’il n’y a pas de monstre, ni de forteresse… Ni de combat.

Moulins___vent_typiques_de_la_Mancha

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