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Côté Beurre
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10 mai 2007

Mais où sont les neiges de la dernière pluie ?

Certains de mes lecteurs voudraient que je parle encore de politique. Seraient-ils en manque, du fait de l’absence de débats et de campagne électorale dans les médias après le surcroît de jadis ? Personnellement, je sature un peu. J’ai trouvé plus intéressant, plus didactique, et je vais de ce pas vous en entretenir. D’ailleurs j’ai déjà commencé, naguère.

Oui, vous avez bien lu, naguère. Ce qui veut dire que je viens juste de vous en parler. Deux phrases plus tôt, j’avais commencé à vous en parler en employant le mot jadis dans son sens premier, c'est-à-dire « il y a déjà des jours ». C’est ce sens qui prévaut chez les vrais amoureux de la langue française et les enculeurs de mouches du verbe.

Petite explication : C’est une incorrection d’utiliser le terme naguère avec le sens d’autrefois… Pardon, avec le sens du MOT autrefois. Donc le sens d’aujourd’hui. Bon, essayons d’être plus clair… La plupart des gens de nos jours utilisent le mot naguère dans le sens de « il y a longtemps ». Naguère n’a pourtant jamais eu ce sens là, vérifiez dans le dictionnaire.

Naguère fut formé très logiquement au XIVe siècle à partir de n’a guaire, c'est-à-dire « il n’y a guère » en français moderne. Ce qui s’est passé naguère s’est donc produit récemment, voire il y a cinq minutes, même si c’est un peu plus vague que cela. Quant à Jadis, il date du XIIe siècle, mais ça ne veut pas dire que le sens du mot se réfère à cette époque lointaine !

Certes, pour jadis, vous aviez une excuse : Son sens a basculé officiellement, même si les dictionnaires conservent bel et bien les deux emplois possibles. Son sens premier n’est autre que « il y a déjà des jours », par le fait même qu’il vient de l’équivalent du XIIe siècle de cette expression : ja a dis (ja se retrouvant dans déjà et jamais, dis étant une contraction du latin dies).

Je vous parle d’un passé lointain, je vais maintenant vous parler d’antan… La locution antan, charmante au demeurant, mais qui n’a rien à voir avec, justement, le passé lointain, malgré le sens nouveau qu’on lui donne de nos jours. C’est une contraction du XIe siècle de anteannum, vocable latin qui signifie tout simplement « l’an dernier ».

Jadis et Naguère, le titre du recueil il est vrai quelque peu nostalgique de Paul Verlaine, ne confond donc absolument pas les deux vocables. Les neiges d'antan de l'éternel François Villon ne sont de même qu'une métaphore du temps qui passe, et non une expression littérale. C'est un usage ultérieur intensif par des tas d'amateurs qui ont changé tout cela.

Par contre, Gai Luron et la Belle Lurette, de Gotlib, c'est juste un jeu de mots. Mais ce n'est qu'une parenthèse...

Quant à autrefois, que l’on peut utiliser très officiellement de nos jours aussi bien qu’il y a longtemps (c'est-à-dire qu’on peut aujourd’hui l’utiliser avec le sens de « il y a longtemps »… je ne sais pas si je suis clair, mais à ce stade ce n’est plus très grave), il vient tout droit des expressions du XIIIe siècle, autre feice et autrefeiz… qui n’ont aucun rapport avec le passé !

Ces expressions signifiaient en fait « une autre fois », à l’avenir ! Un avenir certes abstrait, mais bien loin des générations de nos aïeux. Et ne croyez pas vous accrocher aux lustres. La lustre de l’expression « il y a des lustres » vient du latin lustrum (rien à voir avec lustro, l’éclat, la gloire), le nom d’une cérémonie spécifique effectuée tous les cinq ans.

C’est un sacrifice rituel effectué par les censeurs (encore un mot dont le sens a changé !) dans la Rome antique. Donc c’était il y a plus de cinq ou dix ans, mais sans doute encore du vivant de celui qui emploie l’expression, au grand dam de ceux qui abusent du lustre de la lustre et l’emploient en parlant de quelques mois… Sans doute pour que leur discours brille, mais avec l’effet inverse.

Quelle différence, puisque tout ça c’était il y a belle lurette, me direz-vous ? Eh bien vous aurez tort ! Si l’expression « il y a belle lurette » signifie aujourd’hui « il y a longtemps », elle avait encore récemment le sens de « il y a au moins une heure ». Cette expression vient en effet d’une autre encore employée de nos jours par les professeurs et les gens âgés : il y a belle heurette.

Résumons nous : Naguère c’était il y a cinq minutes, jadis date d’il y a quelques jours, antan vient de l’année dernière, la lustre d’il y a cinq ans, la belle lurette n’est vieille que d’une heure, et autrefois on ne sait plus trop quand, avenir ou passé… Donc pour dire « il y a longtemps », mieux vaut encore faire simple et employer… Il y a longtemps !

Littré recommande l’emploi d’autrefois au lieu de jadis, moindre barbarisme. Fort heureusement pour les allergiques au Bled et au Bescherelle, dans notre bon vieux présent, personne ne vous fera la remarque si vous employez l’une de ces locutions pour l’autre, sauf peut-être au sujet de naguère si vous êtes face à un puriste. Ou quelqu’un que ça ferait mal aux seins de parler simplement.

Mais ce qui est drôle c’est qu’un grand nombre de denrées se réclament, de nos jours, de la recette d’antan, cuisson comme naguère, saveurs d’autrefois, comme jadis… La baguette de pain recette de jadis date-t-elle réellement d’il y a déjà des jours ? Personnellement j’aime mon pain frais… Surtout quand il coûte plus cher qu’une baguette dite « normale » !

Les œufs saveurs d’antan datent-ils de l’an dernier ? Comment font-ils, sans casser les œufs, pour comparer avec le goût d’un œuf de l’an dernier, ou de quelque année que ce soit ? Y a-t-il un témoin objectif du goût d’antan ? Y a-t-il la moindre différence ? Qu’en est-il de la saucisse au bon goût d’autrefois, est-ce qu’elle vient du futur ? A quoi bon un plat surgelé recette de naguère, puisqu’il ne date même pas d’une journée ?

Encore un coup de la nostalgie quasi névrotique de notre société, que je passe mon temps à dénoncer.

Ah, si seulement on se servait de nos vieux mots plutôt que d’inventer de nouvelles vieilleries !

baguette_tradition

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Commentaires
H
Pareil que paf, je me demandais quelle en était la bonne orthographe (sous-entendu la première) et d'où elle venait... merci donc.
P
Ca doit faire des lustres que je me demande d'où vient cette expression ("au temps pour moi"). La langue change, c'est certain, mais faut voir à ce qu'on n'en fasse pas n'importe quoi, d'ici à ce que notre Pivot national nous fasse une dictée en SMS...<br /> <br /> Il éT 1 foa, ds la ville de foi, 1 marchande de foi qui vendé du foi... j'arrête, ça va vous blesser les yeux.<br /> <br /> En tout cas j'apprécie toujours autant la préciosité de ce blog, bravo et merci
M
Oui, comme un certain nombre d'expressions militaires, celle-ci est en train de changer et de prendre un sens purement civil. C'est l'un des procédés les plus courrants de l'évolution des langues : réinterpréter l'éthymologie des termes, à l'écrit ou à l'oral (l'un influençant l'autre, évidemment). C'est un processus très connu en linguistique. Or donc, désormais, on peut écrire les deux. Mais je comprends la frustration, bien sûr.<br /> <br /> NB : pour ceux qui ne le sauraient pas, l'expression "au temps pour moi" est donc une expression militaire, se référant au bel ordonancement du pas cadencé (qui a donc un "temps" ou tempo.). Dire "au temps pour moi", c'est dire que tu as raté la cadence et que tu t'en rends comptes, d'où le sens élargi de "je me suis planté, désolé".
J
Eh eh! Non, ce n'est pas sale.<br /> Mais se faire reprendre avec condescendance par une collègue parce qu'on a écrit "au temps pour moi" dans un mail professionnel (dans une boîte aux lettres partagée), c'est énervant: pour une fois que je faisais un effort pour ne pas me couler dans la "bonne" orthographe erronée de notre époque ("autant pour moi"). Alors là... Pardon!
M
... Ce n'est pas sale, c'est normal, ça arrive à toutes les langues. Ce qui compte, c'est que tu apprenne à te connaître, à vivre dans ta nouvelle langue. ;-)<br /> <br /> Plus sérieusement, je suis très attachée à la langue française et pourtant, je ne ressens guère le besoin de l'enfermer dans ses limites passées. Seuls quelques exemples vraiment insuportables du type confondre les verbes "détonner" et "dénoter" ou bien encore parler d'"anonymes" pour dire "inconnus" (au point qu'on soit obligé de dire "volontairement anonyme" pour revenir au sens premier) m'agacent profondément.<br /> <br /> Ah ! Si : j'ai quand même mes idiosyncrasies à moi : je continue, envers et contre tous, à dire "nous sommes convenus" plutôt que "nous avons convenu" comme cela en devient improprement l'usage. Je ne vais pas jusqu'à m'indigner quand j'entends "nous avons convenu", hein, mais il m'est arrivé de descendre en flamme un personnage suffisamment outrecuidant pour me reprendre sans savoir de quoi il parlait !! A dire vrai, désormais, certains dictionnaires acceptent les deux conjugaisons, de même que l'on est autorisé à faire la désastreuse liaison "les z-haricots", mais je ne m'y habitue pas, c'est comme ça. ;-)
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