Carnets du Naturaliste, I : Le Pélikase
On dit souvent que les oiseaux se cachent pour mourir... Eh bien pas tous. Il en est un qui part de façon spectaculaire. On l'appelle le pélikase, du latin pelicassius, du grec pèllikas (qui signifie à peu près "Pélikase").
Deux choses différencient le pélikase de son cousin le pélican, physiquement : Le bec, et la taille. Le bec, tout d'abord, est pointu et effilé comme une lance. Il lui permet de harponner les poissons dont il se nourrit. La taille, ensuite... Le pélican est déjà un grand oiseau, le pélikase va jusqu'à dépasser en envergure l'albatros ! Il n'est pas rare de voir un pélikase dont les ailes écartées font plus de trois mètres, rémiges comprises. Le poids de la bestiole est aussi conséquent.
Il chasse en piquant sur les poissons d'une grande hauteur, plongeant dans l'eau pour les empaler sur son bec, alors qu'un pélican ne ferait que les prendre dans le sien. Le long bec du pélikase lui permet d'en embrocher plusieurs à la fois. Une fois posé sur la terre ferme, il s'arrange pour décrocher les poissons et les manger tranquillement.
Mais la vraie différence, c'est l'orgueil. Dieu, que le pélikase est vain ! Si vain qu'on peut, comme l'alouette, l'attirer aisément à l'aide d'un miroir. S'il vole souvent en rasant la surface de la mer, c'est pour mieux admirer son reflet dans l'eau.
J'ai tout de suite supposé, grâce à mon flair, que c'était pour cela qu'il mourrait toujours de la même façon inutile, mais qui en impose quand même. Se sachant mourir, lorsque son grand âge ne lui permet plus de distinguer ses proies au sol, le pélikase monte le plus haut possible dans les nues et pique sur la terre. Mort et congelé avant d'avoir atteint le sol (du moins s'il s'y prend correctement), il se plante en beauté, si on peut dire.
Dans les rares régions où l'on trouve encore ces merveilles de la nature, les pêcheurs ont des toits en métal sur leurs barques, et l'on construit des abris le long des chemins. Pourtant, à chaque saison du pélikase, il y a des morts...