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Côté Beurre
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28 octobre 2006

Le vice, roi des Indes

Je viens de manger indien. Pas indien d'Amérique, hein, plus tandoori et seekh kebab, vous voyez le genre. Je trouve étrange que les restaurants de ce type ne soient pas plus courus avec cette mode Bollywood. Serait-ce dû au fait qu'il est impossible de trouver à Paris un restaurant indien accueillant ? Le personnel y est en général aussi aimable que les relations de bon voisinage au Cachemire.
Peut-être aussi que le goût français n'y est pas. Quoi qu'il en soit, la mode des objets orientaux au style hindou ou râjasthâni a fait rage et continue dans tous les domaines. Et, comme toujours, ça fait cinq ans que ce n'est plus à la mode dans les pays anglo-saxons. Vive l'exception culturelle française, qui nous met en retard de quatre trains sur le reste du monde civilisé, d'Internet à la mode ou la chanson.
Il se trouve que Bollywood a élargi son public en passant d'abord par Londres et New York City, deux villes qui ont d'importantes minorités indiennes. Au Proche-Orient et au Maghreb, en Indonésie et en Afrique Noire, à Dubaï, les films indiens font recette au cinéma, et surtout à la télévision. En France, cela a commencé par les classiques de Bollywood comme Lagaan au cinéma.
Assez vite, les autres classiques ont été proposés à un public enthousiaste et fan d'originalité. Par la suite, Devdas a été présenté au festival de Cannes, et puis des acteurs indiens ont été admis aux jurys de divers événements... A présent, et depuis un an environ, le Bollywood a sa place réservée dans les FNACs ou chez Virgin, tout comme il y a un rayon DVD pour les gays. Et c'est venu plus vite.
La musique d'inspiration indienne est devenue internationale dans les boites de nuit, et cette monstruosité, "Pascal of Bollywood" est née. Quand on dit Bollywood, en général, personne ne sait de quoi on parle vraiment : Il s'agit qu'une petite partie du cinéma indien qu'on dit si prolifique (le record du monde en nombre de films produits par pays), uniquement les films de Bombay en Hindi.
Bollywood, c'est le B de Bombay (aujourd'hui Mumbaï, berceau du cinéma indien) au début de Hollywood. Ce type de cinéma ne date que d'une quinzaine d'années. Il existe d'autres productions dans d'autres langues tout aussi prolifiques mais moins connues et issues de tout le sub-continent Indien. Par exemple, le cinéma de Chennaï (anciennement Madras) est surnommé Kollywood...
Kollywood est un cinéma en langue Tamil, de la région du Tamil Nadu au sud de l'Inde. Mollywood se réfère au cinéma Malayam (et, par une étrange coïncidence, au cinéma Mormon des Etats-Unis), Tollywood est le surnom du cinéma Telugu de l'Andhra Pradesh, mais aussi le cinéma bengali de la ville de Tollygunge. Hollywood n'a jamais aussi bien porté son nom de Mecque du cinéma.
Le Pakistan s'enorgueillit du cinéma Lollywood, basé à Lahore (qui nous a offert des chefs-d'oeuvre kitsch et cultes comme Zinda Laash, autrement dit Dracula au Pakistan), et du Pollywood, cinéma de langue pashtoun basé à Peshawar. A ne pas confondre avec Nollywood, les films nigérians, Chollywood, les films péruviens, Wellywood, les films néo-zélandais, et toutes ces sortes de choses.
Passons. Comme d'habitude, la mode éphémère ne montre que le côté strass, le haut d'un iceberg incompréhensible du grand public, qui ne s'intéresse pas à la culture indienne et à ses références obscures. Le cinéma Bollywood tel qu'il nous est connu est kitsch, à l'eau de rose, souvent musical, et les nombreux films d'art ou à références politiques en sont exclus (parfois pour le mieux, il faut le dire...).
C'est un cinéma destiné aux masses, clinquant, dont les acteurs surjouent volontairement, de façon un peu comparable aux soaps brésiliens ou aux "feux de l'amour". Tout le monde est riche, beau, bien habillé, bardé de bijoux et maquillé pire qu'une vieille maquerelle (même les mecs, tradition oblige). Il y a de grosses couleurs qui tachent, des méchants bien méchants, des gentils bien gentils.
Bref, c'est un cinéma hautement codifié dont les histoires, si elles sortent toujours de la culture indienne et ont des références qui nous échappent, à nous, occidentaux (surtout que ça n'est pas toujours linéaire), ne sont pas forcément ce qu'il y a de plus compliqué. Les films durent environ trois heures, il y a toujours un mariage au début ou à la fin, et un personnage comique bien ridicule et gratuit.
Les scénarii sont inévitablement liés à un amour impossible, toujours à cause d'une histoire de famille ou d'une question de caste, ce qui revient à peu près au même. A part ça, il doit y avoir du suspense et de l'action, quelques bagarres, et, bien souvent, une fête. Tout est prétexte à chanson et à chorégraphie de nombreux figurants dans des décors bariolés, trop pittoresques pour être honnêtes...
Comme le cinéma Bollywood s'exporte, il est aussi influencé par l'occident. Il y a donc des scènes récurrentes d'un genre nouveau : La déclaration d'amour. Celle-ci se fait presque toujours sur fond de montagnes blanches ou de verts pâturages de type alpin, en dépit de toute logique (la symbolique orientale, faut pas chercher). Le plus drôle c'est que ce sont réellement les Alpes suisses ou françaises.
Voyez-vous, nos montagnes leurs sont terriblement exotiques et jolies. D'autant qu'aucune autre montagne en Inde n'a l'air de coller avec ce qu'ils veulent faire : Ils ne peuvent pas tourner dans l'Himalaya ni au Pendjab, vous imaginez une déclaration d'amour sur fond d'essais nucléaires ou de tanks chinois ? Ce serait complètement anti-Bollywood. C'est un cinéma qui vend du rêve, que Diable !
Tout est d'ailleurs fait pour ne pas choquer. Cinéma familial, il reflète l'importance de la famille dans le scénario comme dans les images. Pas de bisou sur la bouche, ou alors forcé et violent. Rarement, lorsque le film est construit autour de ça, il y a un élément "dur", comme une femme qui choisit d'épouser un homme qui n'est pas le père de ses enfants. Ou un danseur dénudé. Ou trop de vrais baisers.
Le cinéma Bollywoodien préfère les allégories, les couleurs et les symboles : un regard, un tremblement, et hop, on comprend que machine a baisé avec truc. Une jolie chanson pour faire passer le tout, emballez c'est pesé. La musique est le nerf de ces films, inspirée de grandes chorégraphies traditionnelles, avec figurants, choristes, chanteurs, danseurs, parolier, compositeur et chorégraphe attitrés.
Tout ce travail profite aux diverses mafias qui contrôlent l'industrie. L'imagerie indienne s'exporte depuis longtemps dans le domaine de l'art et de la spiritualité (voyez les années 70), mais le cinéma Bollywoodien fait surtout du chiffre en Inde. D'une part, il y a plus de monde. D'autre part, tout le monde comprend les références, alors que les Indiens ne comprennent pas forcément celles de nos films...

Moi qui ai lu le Ramayana, je peux vous le dire, la culture indienne est foisonnante, variée, riche, sublime et ancestrale, et vaut largement la peine d'être étudiée... Mais Bollywood est à la civilisation indienne ce que la comédie musicale "Le Roi Soleil" est à la culture française : un glaçage chimique et acidulé, certes pimpant, mais qui cache plus qu'il ne montre la substance du gâteau.

Shah_Jahan_chasse_le_cerf

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